A quoi ressemblent les extra-terrestres ? Par Roland Lehoucq
Les Rencontres du Ciel et de l'Espace 2012 devaient se terminer sur la conférence du physicien Etienne Klein : "L'Univers a-t-il connu un instant zéro ?". Autant vous dire qu'il était très attendu, et que les organisateurs de l'événement ont dû connaître un instant de panique lorsque le chercheur a annoncé son incapacité à venir... Mais honnêtement, ils lui ont trouvé un remplaçant de choix en la personne de Roland Lehoucq.
Si vous n'avez encore jamais entendu parler de lui, Il faut quand même que je vous le présente. Roland Lehoucq est astrophysicien, il travaille au CEA et c'est, je pense, l'un des plus grands geeks français. Grand orateur, auteur, il fait de la vulgarisation en analysant sérieusement des sujets beaucoup plus légers... "Faire de la physique avec Star Wars", "D'où viennent les pouvoirs de Superman ?", "Mais où est donc le temple du soleil ?" : voici quelques titres de ses livres. Que je vous conseille, il va sans dire.
Bref, Roland Lehoucq s'y est collé au dernier moment, tant mieux d'ailleurs, car sa conférence était à la fois très accessible et très intéressante. Merci à lui ! En voici un petit compte-rendu...
A quoi ressemblent les extra-terrestres ?
Roland Lehoucq aime bien utiliser la fiction pour parler de sciences. Et pour ce qui est d'imaginer à quoi pourrait ressembler la vie sur d'autres planètes, le cinéma, la bande-dessinée et les livres sont prolifiques ! Sa conférence va surtout consister à analyser des "modèles" existants : sont-ils réalistes ? Les extra-terrestres pourraient-ils vraiment ressembler à ça ?
Il commence par prendre l'exemple de ce cher E.T. personnage principal du film de Spielberg, qui introduit plusieurs notions.
Déjà, E.T. a plus ou moins l'air d'un humain. C'est important de le noter, parce que l'essentiel des extra-terrestres que rencontrent les héros dans les oeuvres de fictions sont anthropomorphes. Bien entendu ils sont un peu modifiés, comme E.T. avec son énorme crâne et sa lampe-torche intégrée... Ensuite, il a des expressions, des sentiments qui sont faciles à décrypter pour nous, humains. Selon Roland Lehoucq, c'est tout simplement plus pratique pour interagir avec eux.
Enfin, il ne faut pas oublier une notion importante : les extra-terrestres aux grands yeux bleus sont des gentils, les extra-terrestres aux petits yeux noirs sont des méchants.
Les représentations d'extra-terrestres les plus variées (et qu'on retrouve encore aujourd'hui) étaient présentes sur les couvertures des pulps (les fameux magazines de SF bon marché) américains. La plupart du temps, ils sont particulièrement repoussants et pour ce qui est des martiens, verts. A l'époque, les extra-terrestres ne sont pas représentés d'un point de vue scientifique mais pour le divertissement. Dans la fiction, on construit un extra-terrestre en prenant des petits bouts de ce qu'on connaît ; essentiellement des animaux, d'ailleurs.
Hugo Gernshak est l'inventeur du terme "Science-fiction" : à la fin des années 1920 il passe de l'édition d'un magazine de vulgarisation scientifique à un magazine de fiction. Avec le développement de la SF se greffe une volonté d'adéquation des créatures inventées aux conditions "réelles". Enfin, on commence à chercher une validité scientifique à la fiction comme ce martien du célèbre illustrateur Frank R Paul qui représente un martien "crédible" : de grandes oreilles et de larges poumons pour compenser la rareté de l'air, des ventouses pour se déplacer sans problème avec une gravité réduite, etc... Plus récemment, ce sont les projets Aurelia et Blue Moon qui ont fait la même tentative pour créer des êtres qui "pourraient" habiter une planète précise.
Ce que les écrivains, scénaristes, designers et autres créateurs de créatures doivent avoir en tête en imaginant un extra-terrestres, c'est que son existence est contrainte par la physique et la chimie :
- Pour ressembler à ce qui existe, il faut qu'il soit composé des éléments les plus courants en biologie, à savoir le carbone, l'hydrogène, l'oxygène, l'azote, le phosphore et le soufre. Certes, on peut faire des tentatives avec d'autres éléments, mais c'est risqué car ils ne réagissent pas de la même manière et surtout, n'ont pas les mêmes formes (imaginez remplacer un élément gazeux par un élément solide aux mêmes températures...)
- Il est conseillé de le penser symétrique. En effet, autant la dissymétrie n'est pas gênante pour se déplacer dans l'air, autant elle devient impraticable lors des déplacements dans l'eau.
- L'extra-terrestre a également besoin d 'énergie pour vivre. Par contre, ça peut-être à peu près n'importe quoi, pourquoi pas l'énergie nucléaire ?
- La plupart du temps, les créatures sont capables de se déplacer (mais ce n'est pas obligatoire, si on prend l'exemple des plantes).
- De la même manière, ils peuvent avoir un cerveau, mais ce n'est pas indispensable (si on prend l'exemple des fourmis)
- Ils doivent être capables d'interagir avec leur environnement et pour cela, avoir un ou plusieurs sens. Rien que dans le règne animal, il y a plein de façon de "sentir".
- Il faut prendre en compte la gravité : est-ce qu'une créature peut être aussi grande qu'on le souhaite ? Si on prend en compte la résistance des matériaux, il y a forcément des limites. Par exemple, si on multiplie par deux un être humain, Roland Lehoucq nous démontre (un peu rapidement pour moi, je suis nulle en maths !), le diamètre de ses os est multiplié par 4 alors que le poids est multiplié par 8. Du coup, si une créature est trop agrandie, son squelette s'abime vite car il subit trop de contraintes. Si on veut inventer un extra-terrestre qui vit dans l'eau, il y a moins de contraintes "techniques" (comme les baleines), mais pour un être vivant qui vit sur Terre par exemple, il ne peut pas faire plus de 40 mètres de hauteur environ.
Finalement peut-être ne faut-il pas avoir peur des géants de la SF, car c'est eux les plus fragiles !
Le Rancor (à droite), dans Star Wars, est donc un peu trop grand pour garder de telles proportions.
A l'inverse, son pote l'Exogorth (à gauche) n'est pas aussi improbable puisque sur l'astéroïde sur lequel il vit, il y a peu de gravité. Bon, du coup il n'y a pas d'atmosphère et pas de nourriture, mais ça c'est un autre problème.
Il y a un tas d'autres détails qui devraient être scientifiquement réfléchis avant de créer des "modèles" extra-terrestres. Par exemple, le nombre de pattes. Beaucoup de créatures de fiction sont des hexapodes, comme les insectes. Sauf que lorsqu'on demande à des mammifères d'avoir 6 pattes, ça devient trèèèès compliqué : d'un point de vue de l'organisation du squelette, ça n'est pas facile, et au niveau du cerveau, imaginez que vous deviez bouger 6 membres en même temps pour vous déplacer ? Je vous raconte pas l'emêlage de pattes.
La deuxième raison pour laquelle vous vous en sortirez toujours dans un combat face à une bestiole géante, c'est parce que quelque soit la taille d'un animal, les informations vont toujours à la même vitesse jusqu'au cerveau. Ce qui fait que les réflexes diminuent avec la taille : un animal de 30 mètres de long met environ 1 seconde à se rendre compte que vous lui avez marché sur la queue !
Roland Lehoucq prend l'exemple du Banshee dans Avatar pour nous interpeller, encore une fois, sur une question purement physique : des êtres volants peuvent porter des cavaliers de 3 mètres de haut ? D'ailleurs, peuvent-ils seulement voler seuls étant donné leur taille ?
Ni une ni deux, il nous présente le Quetzalcoatlus, un ptésosaure qui fut le grand volatile sur Terre, avec 14 m d'envergure et plus de 70 kg. Avec un tel poids, pas possible de se contenter de planer, il faut une musculature incroyable afin de battre des ailes. Et ça tombe bien, parce que notre cher James Cameron, non content de piquer le scénario de Pocahontas pour son fameux film, a également une équipe qui sait s'inspirer de la réalité scientifique : du coup, le squelette du Banshee est quasiment le même que celui du ptérosaure.
Les grosses têtes de la SF
Mais pourquoi les extra-terrestres de fiction ont-ils tous des têtes énormes ? Les écrivains et les dessinateurs semblent penser que ça prouve qu'ils sont plus intelligents que nous. En fait, la masse du cerveau n'est absolument pas un critère d'intelligence, ni la masse du cerveau rapportée à la taille... C'est simplement une façon codifiée de dire au lecteur / spectateur : lui, il est malin.
Roland Lehoucq s'arrête d'ailleurs sur le cerveau immense des extra-terrestres de Mars Attack, qui ont comme particularité de ne pas avoir de crâne... Impossible, si on y réfléchit bien. Déjà parce que ça les rend vraiment fragiles (note personnelle : et vu comme c'est des bourrins... peu doivent survivre), ensuite parce qu'on peut voir qu'il y a des circonvolutions alors que celles-ci existent dans le cerveau humain justement à cause de la boite crânienne. On revoit sa copie, monsieur Burton !
Et il se pose aussi la question de la naissance de ces extra-terrestres ou des fameux "petits gris", parce que si les femelles ont les hanches aussi étroites, ça ne doit pas être une partie de plaisir.
En parlant de maman extra-terrestre... Et le Xenomorphe de la saga Alien, est-il crédible ?
On peut noter quelques détails originaux comme les mains, symétriques, composées de 6 doigts et comprenant deux pouces opposables. Il y a aussi sa bave, assez incongrue : les animaux s'en servent pour faciliter le passage de la nourriture, alors qu'ici, elle est dangereuse. D'ailleurs, c'est bien souvent que les "méchants" ont des attributs un peu crades... La queue du xénomorphe est également contraire à l'utilité qu'en ont les animaux, puisqu'elle lui sert à attaquer (avec la pointe) alors que normalement on s'en sert pour garder l'équilibre.
La bizarrerie la plus surprenante de l'alien, c'est son sang qui devient acide. D'un point de vue chimique, ça pourrait se vérifier s'il s'agissait d'une réaction à l'air libre, mais du coup, ils ne seraient pas capables de cicatriser.
Enfin, Roland Lehoucq nous a proposer quatre lectures selon lui particulièrement intéressante pour leurs extra-terrestres assez originaux : L'Ogre de l'Espace de Gregory Benford, Question de Poids de Hal Clement, Le Nuage Noir de Fred Hoyle et L'Oeuf du Dragon de Robert Forward. Dans chacun de ces romans, les auteurs justifient de façon scientifique l'exotisme de leurs extra-terrestres.
Mais finalement, si les modèles extra-terrestres les plus originaux existaient déjà sur Terre ?
Ceci est bien évidemment un compte-rendu non-exhaustif de cette très sympathique conférence : en vrai, Roland Lehoucq est bien plus drôle et il fait même des mimes assez rigolos du thon non symétrique qui tourne en rond.
Et hop, une petite photo floue d'Alain Cirou et Roland Lehoucq en début de conférence !