Pourquoi détester Jar-Jar Binks ?
Tout le ramdam autour de la sortie des prochains volets de la saga Star Wars m'a donné envie de ressortir un vieux sujet de débat des placards. L'existence de Jar-Jar Binks, le Gungan maladroit de la prélogie. Je vous vois déjà plisser des yeux dans une grimace de dégoût. J'aime bien Jar-Jar Binks et il est important pour moi de vous faire comprendre pourquoi. Je vous vois lever les yeux au ciel.
Bon, alors... Essayez de réfléchir à de véritables raisons qui prouvent que votre détestation envers l'un des personnages secondaires les plus détestés de l'histoire du cinéma est pensée, réfléchie et logique. Comme la majorité des gens qui m'ont déjà répondu (à quelques exceptions près de gens qui détestent réellement Jar-Jar pour une bonne raison, il y en a), je parie que vous allez vous focaliser sur le fait que vous ne le trouvez "pas drôle" et "qu'il ne sert à rien".
Comme la majorité des gens, vous n'arrivez pas à pointer du doigt la véritable raison de votre haine de ce personnage, et je pense que c'est un problème. C'est pourquoi j'ai essayé d'écrire cet article.
Star Wars, un melting-pot mythologique moderne
Pendant très longtemps, comme tous les gamins, je n'ai pas vraiment rationalisé Star Wars. Je me contentais de trouver les personnages marrants, les combats fascinants et les effets spéciaux superbes. Je me contentais de voir la saga comme une oeuvre cool devant laquelle j'aimais passer du temps. Ce n'est que bien longtemps après que j'ai compris. J'ai compris que Leia et Lando Calrissian étaient des personnages que j'aimais inconditionnellement autant grâce à leur personnalité qu'à ce qu'ils représentaient. Que Obi-Wan, Dark Vador et Yoda me parlaient à moi, en tant que petite occidentale cultivée, parce qu'ils représentaient des concepts qui m'ont bercée depuis ma plus tendre enfance. J'ai pris des cours d'histoire culturelle et j'ai approfondi le sujet, de manière compulsive.
Le travail de George Lucas, qui me paraissait déjà considérable, a pris toute sa saveur quand j'ai découvert l'incroyable vérité qui se cachait derrière : en compulsant des millénaires de mythologie occidentales et orientales, il a réussi à inventer un univers qui parlait à une grande partie des êtres humains. Je n'ose imaginer ce qu'il aurait pu faire s'il avait étendu ses références à l'Amérique du Sud, l'Afrique et l'Océanie. Mais bon, je suppose qu'une vie entière ne suffirait pas pour ne serait-ce qu'apprendre ces mythes et légendes bien plus variés que les "nôtres".
La mythologie, c'est la base de travail de Lucas sur la totalité de la saga Star Wars. Le mentor, le chevalier, la princesse, le vieux sage... Inutile de vous faire l'affront de détailler ces références. En tant qu'adultes, vous les avez déjà repérées, appréciées. Là où ça devient compliqué, c'est dans le cadre de la prélogie. Notre cher George aime bien faire, et il s'est attaqué à des mythologies récentes. J'entends par récentes le fait qu'une partie de notre population ne les considère pas comme des mythologies, mais comme une croyance. Ce qui explique en partie la détestation quasi généralisée de la prélogie et de références telles que les midi-chloriens et la naissance d'Anakin. Parce que oui, il a tapé là où ça peut faire plus mal. Excalibur, Perceval, on peut y toucher, ce n'est pas un problème, personne n'y croit vraiment. La vierge Marie et la mythologie pseudo-scientifique, c'est déjà un point plus sensible.
Lucas est allé creuser dans les mythologies modernes -comme il l'avait fait avec les légendes arthuriennes- et en a ressorti quelques petits points qui ont fait grincé des dents à l'époque. Quoi, Anakin, l'enfant du Saint-Esprit (enfin, de la "Force") ?! Quoi, la Force, cette entité cosmique, reléguée au rang d'explication scientifique à deux balles ?! Oui, bah, faut s'en remettre, les gens. Oui, c'est complètement logique qu'Anakin soit l'enfant de la Force, c'est complètement cohérent avec un univers basé sur des mythologies judéo-chrétiennes. Oui, l'existence des midi-chloriens est logique également, car elle découle directement de ce besoin que nous avons aujourd'hui de justifier nos croyances en les "scientifisant", de peur que la science et la religion ne s'opposent. D'ailleurs, dans nos mythologies modernes, la science n'a-t-elle pas justement remplacé la croyance ? Là où nous avions peur des zombies vaudou dans les années 1920, nous nous effrayons des virus zombies au XXIème siècle. Et ne parlons même pas des mythologies pseudo-scientifiques qui entourent les théories des aliens ou les manipulations génétiques... Bref, Lucas reste cohérent avec lui-même dans ses références, jusque dans la création des Gungans et de ce cher Jar-Jar.
Naboo, au coeur des conflits culturels et raciaux
Naboo, pour moi, a toujours été une sorte petit morceau de la Méditerranée porté en plein milieu des Etats-Unis. Naboo m'a toujours semblé tirer ses influences de la Louisiane, cet État du sud des États-Unis connu pour ses origines françaises, sa population de couleur et ses gros problèmes de racisme. Je me trompe peut-être, je prête peut-être des intentions qu'il n'avait pas au créateur de la saga, mais les villes au bord de l'eau et les marais, la population locale divisée en deux camps qui semblent irréconciliables, l'accent créole des Gungans... Pour moi, Naboo est une Louisiane de l'espace, avec son conflit majeur entre deux populations autochtones qui singe -de manière pas très subtile- la situation de racisme caractéristique de cet État du sud.
Le peuple Naboo, qui prend de haut les Gungans, agit à la mesure de ce qu'on peut attendre d'une civilisation qui trouve sage d'élire une gamine de 16 ans à la tête de son royaume. J'dis ça, j'dis rien. En attendant, je crois que nous sommes tous d'accord pour affirmer que sans l'aide des Gungans, de cette population pourtant méprisée et ignorée du grand peuple de Naboo, il y a fort à parier que les batailles auraient toutes été perdues, avec ou sans l'aide des Jedis. Et que si c'est aussi subtil (j'ai jamais dit le contraire), c'est que le but de George Lucas était, comme à son habitude, de nous faire une piqûre de rappel (sur la tolérance, tout ça).
Et Jar-Jar, dans tout ça ?
Jar-Jar est l'incarnation d'un mythe peu glorieux. Un mythe honteux, qui a régné sur la littérature mais aussi énormément sur Hollywood jusqu'à très récemment, et qui y a laissé des traces. Le mythe du bon sauvage. Le gentil noir un peu bête mais vachement sympa et rigolo qu'on trouve dans un nombre incalculable de comédies, et même de comédies très récentes. Le ressors comique le plus minable, le plus dégradant et le plus stupide que le cinéma ait eu l'audace d'utiliser jusqu'à plus soif. Parce que, soyons honnêtes avec nous-mêmes 5 minutes : combien de fois a-t-on eu l'occasion de croiser des acteurs de couleur dans des rôles qui ne sont pas caractérisés par leur identité raciale ? Si petit et grand écran tentent progressivement de corriger le tir, on en a bouffé, du "bon noir". Des rôles comme celui d'un Lando Calrissian ou d'un Mace Windu, où la couleur de peau n'a aucune conséquence sur l'existence du personnage ou le choix de l'acteur, ne sont pas légion.
A partir de ce point, mon avis diverge d'une partie des personnes qui ont fait le même cheminement de pensée que moi. Certains n'hésitent pas à dire que Jar-Jar est un personnage qui symbolise une forme de racisme car il est exploité avec maladresse, en faisant preuve, finalement, d'un racisme qui s'ignore. Leur argument est justement lié au fait que l'évolution du personnage de Jar-Jar n'est pas folichonne et montre bien le mépris de George Lucas vis-à-vis du personnage, donc d'une certaine manière, son indifférence de "blanc" vis-à-vis de l'utilisation de ce ressors comique raciste. Ce sont des arguments que je comprends et qui me semblent tout à fait logiques si on regarde la prélogie. Mais j'en fait une analyse un peu différente, même si je ne peux pas exclure totalement cette hypothèse.
Pour moi, Jar-Jar incarne ce mythe moderne en le rendant plus politiquement correct car on parle ici d'un extra-terrestre, pas d'un être humain dont la couleur de peau est un peu plus foncée. Cela permet de l'utiliser "à l'ancienne", comme personnage comique un peu bête, sans réplique intéressante mais jouant sur un comique de situation. Il me fait par moments penser à Charlie Chaplin ou bien encore à Dingo -qui paraît-il est sa véritable inspiration. Ce type d'humour me fait rire, d'autant plus qu'ici, les mimiques et les mouvements du personnage visent à le rendre irrésistible pour les jeunes enfants, qu'il faut bien occuper durant 2 heures d'un film dont ils ne comprendront que la moitié. Peut-être qu'il ne vous a jamais fait marrer et que vous préférez le potache de la relation crypto-homosexuelle de R2D2 et C3PO sur laquelle j'aurais beaucoup à dire. Chacun ses goûts ! S'il n'est pas le personnage comique de l'année, il a le mérite de faire le boulot.
Pourtant, Jar-Jar sert à quelque chose. Il fait évoluer sa mythologie. L'autochtone sans cervelle qu'Obi-Wan traite avec un tel mépris aux premières secondes de leur aventure commune devient un allié précieux. Tout engoncé qu'il soit dans sa maladresse, il permet aux deux grands peuples de Naboo de se rencontrer, de se découvrir et de s'allier. Il permet aux héros de trouver leur chemin. Il fait de son mieux pour être à la hauteur de l'estime que Qi-Gon lui porte. Il finira même par obtenir un poste de haut dignitaire, par représenter son peuple au Sénat. Certes, il se fait manipuler par Palpatine, vous allez me dire... Mais pas moins que la pourtant si maligne Padmé ! Ce n'est pas forcément fait de la meilleure manière, je vous l'accorde, mais Jar-Jar sort de sa condition de bon sauvage et s'émancipe. Et c'est tout à son honneur.
Je me suis souvent demandé ce que Jar-Jar aurait pu devenir si les fans n'avaient pas été aussi radicaux à son sujet. Parce que clairement, sa quasi-disparition dans les volets suivants n'est pas due au hasard mais s'avère une réaction aux plaintes bruyantes des amoureux du genre. J'aimerais parfois savoir ce qui était prévu pour lui. Qui sait, il m'aurait peut-être sauvée de l'ennui des romances entre Padmé et Anakin dans l'épisode 2.
Voilà. Non, Jar-Jar Binks n'est certainement pas le personnage le plus cool de l'univers Star Wars. Mais cessez un peu de faire votre Obi-Wan et de ne juger ce personnage que par rapport à ce qu'il à l'air d'être. Ne fermez pas les yeux sur ce qu'il représente. Jar-Jar est ici le représentant des Gungans, un peuple brillant, à la culture fascinante et parce qu'il est en marge de sa propre société, il fait le lien avec ces stupides humains qui occupent la surface de sa planète. Jar-Jar n'est pas plus malin, ni plus drôle que le spectateur de base. Ce n'est pas un animal, ce n'est pas un droïde, ce n'est qu'une personne avec ses qualités et ses défauts. Et pour moi, en téléportant l'image du "bon sauvage" dans son univers et en l'amenant à évoluer, Lucas ne se moque pas, il ne méprise pas : il tente, à sa manière, de faire ce que les mythologies ont toujours été censées faire. Il éduque les petits padawans.