Le neutrino, plus rapide que la lumière?

C'est ce que suggère l'expérience internationnale OPERA, menée au CERN de Grenoble, en collaboration avec le laboratoire du Gran Sasso, en Italie. Les neutrinos, particules élémentaires de charge électrique neutre et de masse extrêmement faible (on a d'ailleurs longtemps supposé, qu'à l'instar des photons constituant la lumière, ils n'en avaient pas) n'ont pas fini d'intriguer les physiciens.

Théorisés par Wolfgang Pauli dès 1930, baptisés par Enrico Fermi en 1933, leur existence a été prouvée en 1955 par Frederic Reines et Clyde Cowan (Etats-Unis, laboratoires de Hanford puis Augusta). Il s'agit de la particule la plus abondante de notre Univers. Dégagées lors des réactions de fission nucléaire, artificielles ou au coeur des étoiles, ces particules "fantômes" semblent échapper à la plupart des interactions avec la matière, et peuvent traverser la Terre sans même dévier de trajectoire ou être arrêtés. D'ailleurs, plusieurs milliards de neutrinos, en provenance du Soleil, nous traversent chaque jour ! Afin de les capter, d'immenses détecteurs ont été construits de par le monde, comme celui d'OPERA en Italie, le MINOS aux USA, ou le récemment mis en place IceCube (Antarctique).

L'expérience OPERA avait pour but d'étudier les mutations de neutrinos de hautes énergies, générées par l'accélérateur de particules du CERN, qu'on ne présente plus. Les neutrinos oscillent en effet entre trois formes différentes, qui interagissent différemment avec la matière. Les neutrinos ont été envoyés, à travers la croûte terrestre et en ligne droite, depuis le CERN jusqu'au détecteur Italien, situé à 730 km de là. Mais des observations sur plus de 15 000 neutrinos ont montré qu'en moyenne, les particules mettaient 60 nanosecondes (milliardièmes de seconde) de moins que des photons à parcourir la distance. En d'autre termes, si l'on imaginait ces neutrinos faisant la course, sur cette distance, avec un faisceau lumineux se déplaçant dans le vide, ils arriveraient avec 20 mètres d'avance. Et la précision exemplaire des mesures réduit la probabilité d'une erreur des instruments: l'erreur sur le temps n'est que de 20ns, celle sur la distance de 20cm.

Ces résultats, s'ils s'avèraient valides, risquent bien de perturber la perception de l'espace-temps telle qu'elle était définie, depuis 1905, par la théorie de la relativité générale d'Einstein. La vitesse de la lumière dans le vide (environ 300 000 000 mètres par seconde) était jusqu'ici considérée comme une limite infranchissable par la matière. Un résultat au potentiel tellement énorme que même la presse généraliste a trouvé quelques lignes à y consacrer. Alors, révolution? Distorsion de l'espace-temps? 5ème dimension? Difficile de conclure, et un résultat aussi surprenant doit être pris avec la plus grande prudence. D'ailleurs, les scientifiques ayant publié l'article ne s'en cachent pas, et ne cherchent pas à interpréter tout de suite les résultats publiés aujourd'hui, mais appellent au contraire leurs confrères à vérifier le plus rigoureusement possible les résultats de cette expérience. Une fois modernisé, le centre MINOS aux Etats-Unis devrait aider à confirmer ou infirmer cette observation. Il reste encore quelques années d'essais avant de pouvoir réécrire les fondements de la physique, et les rêves distillés par les auteurs de science-fiction, s'ils sont de nouveau effleurés, sont encore loin des possibilités actuelles d'une science heureusement toujours en évolution...  Et qui ne cesse d'écrire "à suivre" à la fin de chaque épisode.

Vidéo de Dario Autiero, chercheur en physique des particules au CNRS à l'institut de physique nucléaire de Lyon, annonçant ces résultats:

La conférence que ce même chercheur a donnée au CERN, cet après-midi (23/09/2011), devrait bientôt être disponible ici.

Et s'il y a des génies de la physique parmi vous, qui ne se contentent pas de l'article de sciences & avenir, ils peuvent toujours se plonger dans la publication scientifique originale, détaillant méthodes et résultats. (Attention, celle là est vraiment hardcore, bac +3 à 5 en sciences physiques et/ou être un nerd de la physique des particules est vivement conseillé)