Il y a deux films qui ont beaucoup fait parlé d'eux l'année dernière (ça paraît loin) : ils racontent la vie d'un scientifique célèbre en la romançant, et se sont payés des nominations aux Oscars. Il s'agit bien évidemment de The Imitation Game (Morten Tyldum) et de Une merveilleuse histoire du temps (James Marsh). Brain is the new sexy, qu'on se le dise.

C'est ma période "critiques croisées". Je regarde des films qui se ressemblent un peu, et je me dis : ce serait trop bête de faire deux articles séparés quand je pourrais les confronter l'un à l'autre. Si je devais les hiérarchiser, autant vous le dire tout de suite, j'aurais fait pareil que pour les Oscars du meilleur acteur (indice : c'est Eddie Redmayne qui a gagné contre Cumberbatch).

 

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Bref, voici une critique croisée d'un biopic sur Alan Turing, l'inventeur de l'informatique moderne, et d'un biopic sur Stephen Hawking, l'astrophysicien le plus connu du monde (ou presque).

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Une merveilleuse histoire du temps est non pas l'adaptation de l'autobiographie de Stephen Hawking (qu'on peut lire dans une géniale collection d'essais de vulgarisation scientifique), mais de celle qui a été écrite par son épouse quelques années après leur séparation. N'ayant pas lu ce dernier ouvrage,  je n'avais en tête que deux choses : pour moi, l'histoire de Stephen Hawking est celle d'un cancre assez malin et passionné pour réussir, et dans le même temps, celle de la rencontre avec son incroyable femme, sans qui, il l'avoue lui-même, il ne serait pas devenu le célèbre scientifique qu'on connait. Ce qui est amusant, au final, c'est de voir que Une merveilleuse histoire du temps insiste peu ou prou sur ces mêmes éléments, bien que le point de vue de l'auteur soit légèrement différent. Alors bien entendu, on veut faire pleurer dans les chaumières donc on s'attarde sur son combat contre la maladie, c'est logique. On vous plonge la tête la première dans une romance à l'eau de rose. Là où le film réussit parfaitement à atteindre son but, c'est qu'on n'est pas dans de la fiction pure. Cette histoire magnifique, elle a été vécue. Les scénaristes ont donc la décence de ne pas trop dénaturer l'histoire du personnage au profit de la romance. On se retrouve donc emportés, séduits, par ce génie à l'humour ravageur et sa courageuse compagne, jusqu'à une fin presque banale... mais qui n'en n'est pas moins émouvante.

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Ce qui est un comble, c'est que si le film sur la vie de Stephen Hawking ne martyrise pas tellement l'histoire du personnage principal, The Imitation Game, lui, prend des libertés indécentes avec l'histoire d'Alan Turing. Ici aussi, pourtant, on adapte à l'écran une biographie de scientifique de talent. Mais comme on se concentre sur une partie ridiculement courte de sa carrière (le déchiffrage d'Enigma), sur son homosexualité et sur son caractère (supposé), ça ne laisse pas vraiment de place à un scénario complexe et au respect des réalités historiques. Ce qui agace, donc, c'est que le Turing de The Imitation Game a l'air d'un Sherlock Holmes au rabais. Que la morale est douteuse et que la vision de l'homosexualité proposée ici est risible. Ce qui est fort dommage, car hormis le manque de respect de l'histoire originale, le film se pose comme un genre de film d'espionnage en huit clos (oui, oui) plutôt sympathique. Là où Une merveilleuse histoire du temps vient nous faire rêver, nous montre de l'espoir dans une situation dramatique, The Imitation Game sombre dans un pathos clairement exagéré, comme s'il cherchait à justifier le suicide final du personnage. Non, ceci n'est pas du spoil, déjà parce que vous êtes sensé le savoir, ensuite parce que le film ne va pas jusque là. Décousu, simpliste, il prend les spectateurs pour des débiles et Alan Turing pour Sheldon Cooper. Ce qui est très décevant.

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L'Oscar du meilleur acteur, donc, a fini entre les mains d'Eddie Redmayne, qui signe il est vrai une performance beaucoup plus impressionnante que dans Jupiter Ascending (trollololol). Mais Cumberbatch avait ses chances. Ce qui est incroyable, c'est que pendant la première demi-heure du film, les répliques et le comportement de Turing semblent calqués sur celui du Sherlock de Moffat et Gatiss. De la part des scénaristes, ce n'était pas très malin, et c'était encore plus con de caster Cumberbatch pour ce rôle. C'est très très crispant de voir Benedict Cumberbatch dans un rôle aussi similaire, même si ça lui permet de nous prouver qu'il est définitivement un très grand acteur. Bien que le scénario tente de le pousser à jouer exactement comme dans Sherlock (à l'exception de dialogues pas du tout percutants), à aucun moment Cumberbatch ne joue Sherlock. Il crée un nouveau personnage plus émotif, plus hésitant et arrive très vite à nous faire oublier le détective londonien. Globalement, les deux films s'offrent une brochette d'acteurs ultra-talentueux, et même Keira Knightley est crédible en Joan Clarke.

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Si Une merveilleuse histoire du temps reste pudique et grand public, il n'hésite pas à nous parler de handicap (avec un certain tact), de sexualité, d'amour, d'indépendance. Ce n'est pas forcément ce qu'on attend le plus d'un biopic sur un scientifique reconnu, mais après tout, pourquoi pas ? Stephen Hawking est une personne qui incarne la capacité de tout réaliser du moment qu'on en a la volonté. De son côté, The Imitation Game se contente de dévoiler avec pudibonderie l'homosexualité de son personnage principal, qui n'est à aucun moment montré avec un autre homme et semble carrément honteux de sa situation. Sortir en 2015 un film qui s'obstine à associer la psychologie fragile et associale d'un personnage avec une "déviance" sexuelle, ça ne devrait pas être possible ; et pourtant, ils l'ont fait. Clap clap clap. Et en plus, ce film a gagné un Oscar. Merveilleux.

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La représentation de la science est elle aussi assez différente. Encore une fois, Une merveilleuse histoire du temps calque la réalité sur bien des aspects et fait un vrai travail de pédagogie permettant de comprendre le fonctionnement de la recherche fondamentale, avec des théories, ses tâtonnements, ses hésitations. L'excitation de la découverte est omniprésente, et le tout est plutôt bien vulgarisé pour éviter les prises de tête au spectateur sans formation scientifique. C'est un peu trop simplifié par moments, mais si je dois encore une fois le comparer à The Imitation Game, aucun rapport. Ce dernier tente tout simplement d'exclure l'aspect scientifique du travail de Turing, se contentant de nous montrer que des gens très intelligents, qui réussissent des mots croisés et calculent des trucs, et qui construisent de grosses machines dont on ne comprend pas du tout le fonctionnement. Vous avez dit frustrant ? C'est le meilleur qualificatif pour ce film, de toute façon.

Ce qui m'ennuie, c'est que les deux oeuvres avaient le même potentiel pour me séduire. Le film de James Marsh a dépassé ces attentes en dévoilant son contenu avec classe, douceur et humour sous mes yeux émerveillés. Il est rare qu'un film parvienne avec autant de justesse à retranscrire autant d'émotions sans passer pour un tire-larme bas du plafond. A la place de Stephen Hawking et Jane Wilde, j'aurais été honorée d'apparaître dans un tel film. Je crois que je n'ai rien de plus à dire, car c'est à mon avis, si vous aimez les belles histoires d'amour, les tranches de vie, ou simplement Stephen Hawking, vous allez fondre. En plus, la musique est superbe.

L'Oscar du meilleur film a quant à lui été attribué à un film qui romance la réalité au point du ridicule (paye ton groupe de cryptographes qui "découvre" une règle de base de la crypto 5 minutes avant la fin du film), qui ternit l'image d'Alan Turing, et qui avait pourtant l'incroyable potentiel d'une épopée dans un univers passionnant. Imaginez donc, la vie de cryptographes durant la Seconde Guerre mondiale, leur combat contre la montre, leur combat contre les préjugés (une femme et un homosexuel dans les années 40, dans un même film, qui se partagent la tête d'affiche !)... et gâchez bien tout ça avec des dialogues lourds, un montage pas du tout fluide, des références qui tombent comme des cheveux sur la soupe (le test de Turing est la plus affligeante référence de toutes), des raccourcis et des poncifs  tout va. C'est triste, mais même si j'ai envie d'aimer ce film, même s'il a ses moments, même s'il partait d'une excellente idée, il reste une énorme déception.

Là où je peux me réjouir, c'est que les personnages scientifiques sont en vogue. Plus de biopics ! Plus de science ! Plus de Redmayne et de Cumberbatch s'il le faut, je veux bien. Mais moins de conneries, s'il vous plait, Hollywood.

 

The Imitation Game (Morten Tyldum)

3e Pas indispensable, mais de bonnes choses.

 

Une merveilleuse histoire du temps (James Marsh)

4e On vous le conseille fortement !