Faut-il aller voir The Dead Don't Die ?
En tant que fan de Jim Jarmusch (j'ai grandi avec Ghost Dog, un de mes films préférés, peut-être même LE film qui m'a appris ce que c'était, le cinéma) et inconditionnelle de films de zombie, l'annonce de la sortie de The Dead Don't Die m'a rendue très enthousiaste. Je me demandais ce que le réalisateur cynique et désabusé allait pouvoir apporter au genre... La réponse dans cette critique !
Il faut savoir, pour ceux qui ne le connaîtraient pas, que Jim Jarmusch s'était déjà attaqué avec succès au film de vampire, avec Only Lovers Left Alive, qui est pour moi un des rares chefs d'oeuvre récents sur le sujet. Romantique, envoûtant, dépressif et féral, il avait tout compris aux vampires. Donc je réitère : j'étais vraiment impatiente de savoir ce qu'il allait réussir à faire d'une autre mythologie au fort potentiel, celle du zombie.
Je me suis assise dans ma salle de cinéma, j'ai râlé parce qu'un mec immense s'était assis devant moi, puis le générique a débuté et déjà, ça m'a bien calmée. Parce que c'est pas tous les jours qu'on va voir un film dont les acteurs sont aussi célèbres / bons et étonnamment, on a toujours voulu qu'ils se retrouvent ensemble dans le même film. La tête d'affiche est composée de Bill Murray (LE Bill Murray) et de Adam Driver (Star Wars, BlacKKKlansman), un duo absolument parfait, dont le dynamisme sert impeccablement les dialogues absurdes du film. Ils croisent la route de la délicieusement barrée Tilda Swinton, de l'excellente Chloë Sevigny, du formidable Danny Glover et du truculent Steve Buscemi. Même les caméos sont fifous (coucou Iggy Pop !). Bref, le générique de début, il te fait rêver.
Le cinéma de Jim Jarmusch, c'est un concentré de plans fixes gênants, de comique de répétition, de dialogues étranges et de personnages aux comportements décalés. Il aime l'absurde et ses personnages ont rarement tendance à être réalistes. Je pense que ce n'est pas forcément du goût de chacun, mais pourtant, dans ma salle de cinéma, les gens ont eu l'air de bien rire (passées les 20 premières minutes de silence). Parce que oui, dans la lignée d'un Shaun of The Dead, The Dead Don't Die est un film qui se sert de l'horreur pour faire rire les gens. Il n'est pas trop gore, pas trop violent et même les maquillages sont relativement softs : c'est à croire que le but de ce film était avant tout de ne pas trop choquer.
The Dead Don't Die est un film drôle, donc. Pas immédiatement. Pas hilarant à t'en faire pipi dessus. Il est drôle à sa façon insidieuse, insistante, maladroite et pourtant très ciblée. Tu ne peux pas prendre n'importe quelle scène du film, hors contexte, et la montrer à quelqu'un pour le faire rire. Il faut l'avoir vu en entier pour l'apprécier. Chaque nouvelle scène apporte son lot de bizarreries, de blagues à prendre au premier, second, troisième degré (on fait son marché, en somme). Jim Jarmusch se sert de cette histoire classique de petite ville américaine qui se fait envahir par les zombies pour mettre un peu de piment dans la vie bien tranquille de ses personnages. Sans jamais se moquer, avec une infinie tendresse pour tous ses personnages, avec leur complicité, même, il filme leurs réactions cocasses face à l'horreur.
Je me demandais, avant de voir le film, si Jarmusch allait APPORTER quelque chose au genre du film de zombie. La réponse est non. Il n'apporte rien de nouveau. Absolument rien. Son film est terriblement classique, parce qu'il a compris qui sont les zombies, à quoi ils servent habituellement dans le cinéma de genre, parce qu'il a compris qu'il ne pouvait pas faire mieux que ses prédécesseurs. Etrangement, c'est en cela que j'ai beaucoup aimé le film. Il rend hommage à Georges A. Romero et à tous ceux qui ont créé la mythologie moderne du zombie. The Dead Don't Die est bourré de références à la culture de genre, à l'horreur. C'est un film d'amoureux du cinéma de genre. Il y a même un moment ou Selena Gomez (elle-même), à travers une discussion avec un autre personnage du film, vous complimente sur votre culture. Si, si, je vous jure que c'était pour vous. Ressentir une telle complicité avec un réalisateur, ses acteurs, avec le film lui-même comme s'il était un personnage à part entière, comme si on faisait partie du film, ça fait tout drôle. C'est grisant.
Jarmusch sait que le film de zombie a toujours été politique. Que derrière ses monstres envahissants, avides, derrière ses tueries et ses effets spéciaux, le film de zombie parlait de racisme, de consumérisme, de capitalisme, d'écologie. Que ces propos étaient traités en second plan, discrètement, sous couvert d'une réputation de divertissement décérébré. Cela permettait de passer outre la censure. Alors, en bon réalisateur de film de zombie, il s'y colle à son tour. Avec un twist : là où les films de zombies ont habituellement un propos caché, il arrive avec ses gros sabots et nous montre, sans subtilité aucune, le parallèle entre l'invasion des zombies et notre monde moderne. Omniprésence des smartphones, racisme, surexploitation des ressources naturelles, tous les sujets traditionnels s'affichent sans aucun mystère, sans aucun second degré ou presque. C'est presque de la propagande, ça force le trait, ça cherche à te parler à toi qui est assis sur ton siège.
D'un coup, le film se termine, et tu te sens jugé. Toi qui t'es permis, pendant 1h45 de film, de te moquer de l'inaction des personnages face à la fin du monde qui s'approche. Le message est simple, enfantin mais il est diablement efficace. Jim Jarmusch ne fait pas que de la poésie : acide, amer, il nous juge, il se juge, il juge l'humanité. Il a bien raison.
Faut-il aller voir The Dead Don't Die ? Si vous aimez l'absurde et les zombies, oui, clairement. Je ne saurais parler pour les autres. The Dead Don't Die n'est pas le meilleur film de Jarmusch, mais ce n'est pas grave : ce n'est pas son but. Il s'est amusé à faire un film à références (et les références sont aussi fréquentes à ses propres films qu'à ceux des autres !), avec de l'humour absurde, un casting 5 étoiles et un message écologique. ET C'EST TOUT CE QU'ON LUI DEMANDE. Merci Jim, on a passé un bon moment.
Oh, encore une chose : le potentiel de re-visionnage du film (pour moi du moins) va être énorme.
On vous le conseille fortement !