Lou et l’île aux sirènes ou le LSD expliqué aux enfants: une critique croisée
Attention, cette critique vous sera proposée en Collab-o-vision par nos deux génies du mal, Bizarman et Discord.
Discord: Dis Bizarman, tu veux faire quoi cette nuit ?
Bizarman: La même chose que chaque soir, Discord ! Tenter de conquérir la japanimation ! *musique dramatique*
Oui, c’est bien beau mais il faut commencer quelque part !
Les films d’animation japonais se portent de mieux en mieux sur notre territoire depuis quelques temps: le succès de Your Name l’an dernier à ouvert la voie à nombre de sorties cinéma en France; c’était encore presque impensable il y a quelques années de voir une diffusion en salles d’un film d’animation japonais qui ne vienne pas du studio Ghibli.
C’est sûr, là, on a au cinéma en même temps Dans un recoin de ce monde et Lou et l'île aux sirènes, deux films primés à Annecy, respectivement par le Cristal du meilleur long-métrage et le prix du jury. On peut dire que l’on est gaté. Mais bon, lequel choisir ?
Et bien commençons par le premier dans l’ordre des sorties officielles: Lou et l’île aux sirènes.
Attend, le film de l’autre taré de Masaaki Yuasa ?
“Taré” est un mot qui ne semble pas trop fort pour désigner ce réalisateur japonais plus qu’ excentrique. On lui doit Mind Game (2004) un film (enfin, je crois) particulièrement insensé, mais aussi plusieurs séries animées telles Kaiba (2008) ou The Tatami Galaxy (2010). Et en 2018, nous le retrouverons sur l’improbable reboot animé financé par Netflix du Devilman de Go Nagai. Mais ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est bien Lou et l’ile aux sirènes, sa tentative de réaliser un film familial (ce qui peut surprendre vu ses penchants pour les productions expérimentales). Et il faut rajouter que le scénario a été écrit par Reiko Yoshida, scénariste du manga Tokyo Mew Mew (oui oui...).
Le film nous présente Kai, jeune lycéen asocial qui vit dans un village isolé près de la mer avec son père et son grand-père. Doué pour la musique, il est recruté (plus ou moins de force) par deux de ses camarades pour rentrer dans un groupe. Ils décident d’aller répéter sur l’île voisine qui est connue pour ses légendes sur les sirènes. Là-bas, ils découvrent Lou, une sirène aimant la musique, se dotant de jambes quand elle entend une mélodie, qui a le pouvoir de faire danser les gens, de transformer tout être vivant en sirène, mais qui craint le soleil. Bon, dit comme ça, ça parait étrange mais vous allez voir, ça l’est encore plus à l’écran !
S’ensuivent moultes péripéties liées à l’apparition de cette petite sirène, centrées sur les réactions des habitants à ces créatures marines fantastiques, que certains craignent de par les sinistres légendes qui y sont associées, là où d’autres y voient une occasion de faire du profit. Naturellement, l’évolution la plus importante sera celle des protagonistes, en particulier Kai qui grâce à Lou reprend goût à la musique comme à la vie.
Malgré des personnages plutôt unidimensionnels, ces derniers semblent des plus vivants de par le contexte qui les entoure et leur relation aux choses qui les dépassent. On s’attache aux personnages malgré le fait que ce soient des coquilles vides, chose assez rare pour être noté.
Dans cet esprit, le film est extrêmement bon pour définir des ambiances en seulement quelques plans: il suffit de quelques images pour comprendre l’isolement et l’ennui qui règne dans ce village où les divertissements ne sont pas légion. On est transporté sans efforts par l’ambiance de mystère autour de l’île au début du film, ou les excentricités du monde fantastique des créatures marines.
Tout cela est sublimé par l’animation si spéciale de Yuasa qui a la particularité de ressembler à ce que les cartoons faisaient dans les années 30: mouvements exagérés, proportions respectées quand il y a besoin, chara design plus qu’improbable. Et l’utilisation des couleurs sert le propos du film: toute la palette y passe et l’arrivée de Lou transforme un monde bien terne en festival visuel. Le pire, c’est que ça marche du tonnerre. Par exemple, les scènes où Lou fait danser les gens sont absolument incroyables. La preuve en images !
Comme le synopsis a dû vous le faire soupçonner, la place de la musique est cruciale dans le film, en tant que moyen d’expression des personnages principaux et vecteur de leur développement. La bande sonore s’avère très entraînante et, comme l’extrait ci-dessus l’a montré, nous ferait presque danser avec les personnages !
Toujours dans la partie sonore, le doublage. En vieil aigri inconditionnel des VO, je suis satisfait du doublage japonais, l’interprète de Lou notamment contribue à rendre la petite sirène adorable.
D’habitude, je suis quelqu’un qui aime bien conseiller les VF (hérétique !) mais là, fuyez ! Le cinéma a fait une erreur et nous a donné de la VF pendant 10 minutes avant de se rendre compte de leur erreur mais ouais, c’était pas bon. Synchronisation labiale aux fraises, adaptation hasardeuse, voix à côté de la plaque et surtout, quand on qualifie un perso comme “pas parfait en chant”, ça ne veut pas dire qu’IL CHANTE COMME UNE CASSEROLE !
Quand on pense “film familial”, on se doute que les thématiques développées par le film conduiront à une morale d’une forme ou l’autre. Et ce film, malgré certaines séquences plus que bizarres (des poissons zombies dansant les claquettes, quelqu’un?), développe une belle allégorie de l’acceptation de l’étranger (et de l’étrange).
Au final, toutes actions de Lou et de son peuple qui ne cherchent qu’à aider et à créer des liens d’amitié se heurtent à l’incompréhension des humains du film qui prendront cela comme une déclaration de guerre aboutissant à une réponse démesurée. Comme dans de nombreux films japonais, c’est la Nature qui va les remettre à leur place et favoriser indirectement leurs relations avec les créatures marines.
Pour résumer mon opinion, Lou et l'Île aux Sirènes est un film très plaisant à regarder, devant lequel on ne s’ennuie pas et qui réussit à parler à un public familial au delà des délires visuels et scénaristiques propres à Yuasa.
En bref, un excellent film pour tout public où on se fait entraîner par la musique et les évènements... mais où il faut accepter une animation un peu chtarbée et un scénario dont seuls ceux qui ont réussi à voir l’intégrale des Looneys Tunes sous acide pourront trouver logique.
On vous le conseille fortement.
Et pour la prochaine fois, préparez vos mouchoirs et éloignez les enfants !