Valérian, une leçon de cinéma par Luc Besson
Vous avez lu l'avis de notre cher Otakman, plutôt enthousiaste, je vous offre désormais sa contrepartie. Parce que je crois qu'en tant que fan de la BD, mon opinion va forcément différer de la sienne sur certains points. Voici donc désormais l'avis de Eith !
Valérian a une place toute particulière dans mon coeur : c'est une de mes BD franco-belges préférées. Je l'ai découverte à l'adolescence, j'ai passé des journées entières à lire et relire chaque tome, à m'émerveiller devant ce chef d'oeuvre de la littérature de SF française. J'ai même eu la chance incroyable de rencontrer Jean-Claude Mézières, le pétillant et sarcastique dessinateur de la BD. Bref, j'ai un peu grincé des dents en découvrant qu'une nouvelle adaptation allait être réalisée par Luc Besson. Parce que pour le coup, j'ai une histoire compliquée avec Besson. Nikita, Léon et Le Cinquième Elément sont trois de mes films préférés, j'ai trouvé le Grand Bleu sublime, mais j'ai bien souvent levé les yeux au ciel devant ses réalisations et ses scénarii. Il m'agace au plus haut point, parce que je trouve que depuis quelques années, il se repose sur ses lauriers et son cinéma n'évolue pas. En ceci, Valérian m'a semblé un parfait exemple du cinéma de Besson (d'où le titre de cet article) : on pourrait s'en servir pour expliquer tout ce qui va et tout ce qui ne va pas dans ses films.
Ce qui va ? Bon sang, je ne pourrais pas contredire Otakman sur ce point, parce que visuellement, c'est une putain de claque. Je suis la première à râler quand les effets spéciaux sont moches, mais là, rien à dire, beau boulot. Les intégrations sont impeccables, les personnages en CGI sont très bien, la lumière est parfaite... Non, vraiment, c'est un très beau travail aussi bien de la part des équipes qui ont fait le chara design que celles qui ont réalisé les effets spéciaux. A mes yeux, si vous souhaitez voir le film, allez le voir au cinéma, parce que rien que son aspect visuel justifie le déplacement (un peu comme pour Avatar à son époque). Bref, on sent qu'ils ont claqué tout le budget là-dedans.
A mon grand étonnement, j'ai trouvé que les acteurs principaux étaient plutôt bons. Cara Delevingne semble avoir parfaitement compris le personnage de Laureline et elle m'a beaucoup surprise avec son visage hyper expressif, qui reflète vraiment bien le côté espiègle de la jeune femme. De son côté, même Dane Dehaan, qui pourtant n'était pas un choix très judicieux, m'a par moment rappelé ce bon vieux Valérian. Les acteurs secondaires (ceux qui ont la chance d'avoir un rôle un peu développé) sont tous bons également, et Rihanna se paie le caméo le plus long, le plus chouette (et peut-être le plus cher) de l'histoire du cinéma.
En soit, ça fait deux très bonnes raisons d'aller voir le film. J'ai également trouvé que toute la partie du film qui se déroule à Big Market est très cool. Sans vous spoiler, disons que le concept du lieu est normalement assez difficile à comprendre, et pourtant, j'ai trouvé que Besson nous livrait une succession de scènes d'action intelligibles, nous présente le concept sans accroc, et nous plonge là-dedans avec une maestria incroyable. Honnêtement, si je ne devais sauver qu'une partie du film, ce serait celle-là.
Parce que le reste... Comme je l'ai dit dans le titre, c'est une leçon de cinéma par Luc Besson : comprenez par là qu'on n'est jamais bien loin de l'excellent sketch de Mozinor (j'vous jure, j'ai cherché les Audi, j'ai pas trouvé).
(c'est cadeau)
Déjà, on va commencer par les choses qui sont capables d'énerver tout le monde, y compris les gens qui n'ont pas lu la BD. Le. Putain. De. Scénario.
Oui, j'avais besoin d'une emphase, parce que ce scénar est une véritable catastrophe. Avec un peu de boulot (du genre, une relecture par exemple ?), il y avait moyen de prendre tout ou partie des éléments du film et de construire un film d'action fun et vaguement cohérent. Au lieu de ça, cette flemmasse de Luc Besson a décidé d'appliquer bêtement et simplement la méthode Besson : je prends une intrigue simple, du type A va vers B, et pour que ça dure plus qu'une demi-heure, je rajoute des détours qui s'enchainent plus ou moins heureusement. Je vous laisse regarder la saga des Minimoys si vous ne voyez pas de quoi je veux parler. Ou Gravity.
Pour le coup, ça ne s'enchaine pas forcément très heureusement. Plein de scènes sont finalement assez chouettes, mais comme toujours, Besson nous présente plus un catalogue d'idées qu'une véritable intrigue. Du coup, on passe d'une scène à l'autre à coups de deus ex machina bien pourri, toutes les situations se résolvent à coup de deus ex machina, et surtout, bah la fin du film, c'est une très grosse succession de deus ex machinae, dans le genre "pouvoir de l'amour" et tout le toutim. *pars vomir*
Le scénario n'est pas faible : il est complètement flemmard. Il prend des raccourcis, use et abuse de clichés, jusqu'à l'overdose. Je défie quiconque avec un tant soit peu d'esprit critique de ne pas soupirer intérieurement au moins une dizaine de fois en le voyant. C'est vraiment, vraiment dommage, car encore une fois, un peu de boulot aurait pu rectifier le tir.
En tant que fan de la BD, j'ai eu beau apprécier quelques clins d'oeil à la série, je suis très insatisfaite du traitement des personnages principaux. Valérian n'est qu'à peine ébauché comme un type intelligent mais flemmard (tiens, ça me rappelle quelqu'un), alors que sa personnalité d'origine se situe quelque part entre un Clint Eastwood et Han Solo, avec une touche de romantisme à la française. Laureline, quant à elle, passe d'un caractère extrêmement nuancé (capable de s'émerveiller devant tout, toujours heureuse, mais terrible dans sa colère et ses capacités à être sarcastiques), à une caricature de femme fatale à la langue bien pendue. Femme sans défense déguisée en personnage badass, elle n'est pas développée, elle ne sert à rien d'autre qu'à être l'intérêt amoureux de Valérian, le mec-dont-le-nom-est-sur-l'affiche. Quand, je le rappelle, la BD a été renommée Valérian et Laureline étant donné l'ampleur qu'avait pris le personnage dans la saga. Et malheureusement, le traitement de ce personnage féminin résume à peu près celui de tous les personnages féminins du film, faire-valoir du beau Valérian.
Même sans connaître la BD, on se rend surtout compte qu'un truc ne va pas en observant la "nécessaire" histoire d'amour du film. En fait, elle est plus que branlante, elle est carrément malsaine. La relation entre Valérian et Laureline, dont l'évolution se fait très progressivement et subtilement dans la BD (d'une relation de type maitre/élève à une relation d'égal à égal, sous laquelle on sent une vraie tension sexuelle), et ici complètement bâclée. Déjà, parce que le Valérian de Luc Besson devient une sorte de prédateur sexuel, qui après seulement 4 secondes à l'écran commence à harceler Laureline. Un peu comme si Besson n'avait pas compris ce qui fait le charme de Han Solo, et avait, à sa manière, essayé de positionner le harcèlement sexuel comme méthode de drague. On sait que tu viens de la banlieue, gars, mais on pensait que tu avais un peu évolué depuis. Bref, cette relation m'a foutu la nausée, et après en avoir longuement discuté avec pas mal de gens, elle a en réalité mis tout le monde mal à l'aise. Bien joué... Désormais, on pourra probablement faire un short-cut de Valérian dans les séminaires d'entreprises sur le harcèlement sexuel.
Petite note sur la Bande Originale du film, qui m'a laissé perplexe : alors que le travail a été confié à l'excellent Desplat, on se trouve avec une BO complètement masquée durant le film (essentiellement par des bim bam boum), dont les thèmes principaux ne sont pas vraiment identifiables. Jolie, certes, mais un peu creuse, pas vraiment marquante. Tristesse.
En fait, il y a pas mal de choses qui me font penser à Gravity ou Avatar, dans Valérian. Notamment cette sensation que l'histoire est un gros foutage de gueule et qu'on a tout misé sur l'esthétique. Mais contrairement à Gravity ou Avatar, qui était quand même des films sympa dans leur simplicité naïve, Valérian m'a fait passer à un autre niveau de colère, et donné envie de hurler "mais quel putain de gâchis" pendant les trois quarts du film. Même si la déception était moins grande que prévue, parce que finalement, l'univers a été adapté de façon plutôt respectueuse, on y trouve vraiment plein de bonnes choses, et j'ai passé de bons moments. Mais c'est ça, le hic : je n'ai pas passé UN bon moment. Juste, quelques petits moments.
En bref
Avec un scénario pas à la hauteur, des personnages principaux mal écrits et une grosse dose de sexisme, Valérian gâche tout le potentiel qu'il aurait pu avoir d'être un bon film. Il reste une expérience cinématographique agréable visuellement, et qui, j'espère, aura une conséquence formidable : vous allez lire la BD en sortant du film. Parce que la BD, elle, c'est un chef d'oeuvre.
Pas indispensable, mais de bonnes choses.