Captain America - Civil War et les superhéros égoïstes
Depuis des décennies, j'essaye, patiemment, inlassablement, d'expliquer aux gens que les comic-books, et plus spécialement les comics de superhéros, ça ne consiste pas à regarder des types en collants se taper dessus sans raison valable. Pour moi, cette définition colle bien mieux au catch mexicain. Du coup, j'étais plutôt contente de savoir que le troisième film de la licence Captain America adaptait le cross-over Civil War. Si cet arc narratif avait des défauts, il avait aussi l'immense intérêt de poser des questions philosophiques et politiques qui portent à débat. Interventionnisme de l'Etat, limites de la liberté individuelle, différences entre "rendre la justice" et "appliquer les lois", ségrégation, tout un tas de sujets de société brûlants et passionnants. Je voyais déjà Télérama et Le Point s'extasier devant la profondeur et la complexité de la réflexion du film. Civil War donnait un thème fort et intelligent à ce qui s'annonçait tout de même comme un film d'action, comme le fut The Winter Soldier, le volet précédent de la saga. Un film des frères Russo, quoi.
Une question se posait : comment gérer dans un même film l'action et la philosophie ? Bah cherchez pas, ils n'ont pas vraiment essayé de le faire. On retombe dans de l'action pure, dans un scénario-prétexte, et aussi fun et divertissant que cela puisse être, je trouve ça très décevant. Ils fatiguent, les superhéros. Alors oui, bien sûr, je n'ai pas dit que le film était mauvais, il est correct. Mais décevant. Nuance.
Les caméos des nouveaux membres des deux équipes sont super cool. Ant-Man prend plus d'ampleur en 10 minutes de Civil War qu'en 1h30 du film éponyme. Spiderman, avec ses répliques du tonnerre et son costume parfait, rappelle à la concurrence (pauvre Andrew Garfield) qu'il faut pas la leur faire : Spiderman, il vient de chez Marvel, ils savent quoi en faire. L'évolution de la relation entre Wanda et Vision est réellement bien traitée, avec une finesse incroyable et offre de jolies scènes. Notre cher Captain crève l'écran avec des scènes musclées et prend l'assurance nécessaire pour mener à bien une rébellion contre les puissances étatiques qu'ils représentait jusque là. Stark semble au bord de l'alcolisme (enfin !) et se terre dans une noirceur qui lui sied particulièrement bien. Black Widow s'impose comme le personnage féminin badass de la saga. Même Black Panther, malgré une introduction très maladroite et un casting étonnant, est finalement un personnage réussi, aussi bien par son évolution que par le design de son costume. Le compositeur Henry Jackman, qui nous a pourtant habitués à une redondance des thème peu inspirées, nous offre une BO plutôt classique mais sympathique, avec des vrais thèmes identifiables. C'est dire si ce film avait du potentiel.
La licence Captain America au cinéma est géniale. Pour tout vous dire, ça tient du miracle : rendre intéressant un personnage créé pour de la propagande, c'est un peu compliqué... Mais avec un premier film anglé militaro-espionnage et rétro, puis un second anglé action avec des personnages secondaires vachement cool, on était en droit d'attendre une troisième perle dans un esprit différent. Moi, en tout cas, j'attendais mieux qu'un épisode qui aurait pu être tiré d'un dessin-animé pour enfants. Les gens qui n'ont pas vu le film, vous pouvez arrêter la lecture ici. Les autres, je vous embarque.
Commençons par le commencement. Civil War. A l'origine, on parle d'une décision du gouvernement de recenser les "humains améliorés" afin de pouvoir les surveiller, pour protéger les populations "normales". Les mutants sont les cibles principales de cette loi, puisque, réduits à un tout petit nombre, ils se cachent encore plus que d'ordinaire. Bon, OK, pas de mutant dans le MCU actuel, mais ça fait deux saisons que Marvel Agent of Shield nous introduit les Inhumains, qui éclosent comme des oeufs d'aliens, alors j'ai été assez conne pour croire qu'ils seraient au coeur de Civil War, le film. Bah oui : Cap' ayant combattu les nazis dans sa jeunesse, normal qu'il s'oppose à une loi qui consiste à étiqueter des gens afin de pouvoir contrôler ce qu'ils font (et donc, à terme, à pouvoir les enfermer). Normal qu'il se batte pour protéger des gens ; c'est Captain America, après tout. Mais en fait, le choix peu judicieux et peu courageux des scénaristes a plutôt été d'ignorer complètement les tenants et aboutissants de la loi sur les surhommes. Au lieu de ça, on se retrouve avec une loi insignifiante (ou presque), qui consiste à dire aux Avengers (8 clampins avec des pouvoirs) qu'ils seront désormais sous contrôle de l'ONU, pour éviter les bavures. Ce qui, de base, ne devrait pas les choquer tant que ça puisqu'à l'origine, c'est un autre organisme gouvernemental qui les a rassemblés, le SHIELD. A cette époque, être "sous contrôle" n'était pas un tel problème.
Alors bon, déjà, il n'y pas de raison majeure pour les héros de s'alarmer ; il n'y a qu'à écouter leurs 3 minutes et demi de débat sans aucun argument (ou presque) pour s'en rendre compte. Et puis, on aurait pu enchaîner sur de la bonne vieille géopolitique des familles (ONU qui dirige des superhéros = des mois pour se mettre d'accord), ce qui aurait permis de mettre en valeur un chef d'Etat bien connu dans le monde des supers, à savoir Black Panther. Mais non, toujours pas. Le Cap' nous parle un peu de liberté (si tu as pas tout suivi, c'est un peu sa valeur de référence, pour Cap' la liberté, c'est la vie), Iron Man nous parle un peu de culpabilité, et au final, chacun s'engage dans cette guerre civile absurde pour des raisons hyper égoïstes. Iron Man parce qu'il décide de ne plus prendre la responsabilité de ses actes (ce qui, somme toute, est typique du personnage, que tu pensais qu'il avait évolué et en fait non) et le Captain America parce qu'il n'aime pas recevoir des ordres et surtout, parce qu'il veut sauver son pote Bucky.
Donc, nous sommes bien d'accord pour dire que c'est du gâchis ? C'est pas fini.
Cap' et Bucky, donc. Alors la véritable question, c'est : pourquoi est-ce que Cap' finit par embrasser (lors de la scène de baiser la plus nulle de l'histoire du cinéma, ceci dit en passant), Sharon Carter, alors qu'on sait tous que la personne qu'il kiffe plus que tout au monde, c'est Bucky-chou. Dans le volet précédent, on assistait à un dilemme lors de l'affrontement entre les deux personnages. C'était prenant. On se demandait ce qu'il allait bien pouvoir faire. Clairement, dans Civil War, les questions de morale, il les laisse de côté. On a le droit à 1/2h de "Bucky c'est mon pote, touche pas à mon pote" durant laquelle il met en danger presque tous les gens qu'il connaît juste parce que son copain Bucky, bah c'est pas de sa faute. A ce stade, ça n'est plus mignon, c'est relou. Et du coup, le côté "boy scout" de ce pauvre Steve en prend un coup, alors qu'en même temps, il ne montre pas des masses de signes d'évolution, ce qui aurait pu être marrant. Tout ça pour au final...
Troisième brique de mon argumentaire "Captain America : Civil War, ce putain de gâchis". Fin du film. On arrive en Sibérie, où un ersatz du Baron Zemo a tendu un piège à nos héros. Un piège TOUT POURRI ! Non. Mais. Vraiment... On apprend donc que tout, TOUT depuis le début avait été monté par ce "génie" criminel pour que Iron Man et Captain America se tapent sur la tronche. Parce que parmi les milliers de solutions qu'il avait pour faire ça, ce qu'il a trouvé de plus pertinent (et visiblement pas de moins coûteux), c'est de :
1 - piéger les Avengers pour qu'ils tuent encore des gens (ce qu'il leur reproche justement, hein) et pour que l'ONU veuille reprendre le contrôle de l'équipe (parce que tout le monde sait que c'est exactement ce qu'il se serait passé, hein, l'ONU qui prend des décisions définitives et rapides, tout ça)
2 - piéger Bucky pour que Captain parte à sa rescousse (en espérant que son pote Iron Man ne viendrait pas l'aider)
3 - piéger Captain et Bucky pour qu'ils croient que le but de Zemo est de trouver des super-soldats en Sibérie.
4 - faire comprendre à Iron Man (qui est un peu lent) que tout ça était un piège pour qu'il se rende là-bas aussi (en un temps record)
5 - montrer une vidéo de la mort de ses parents à Iron Man pour qu'il attaque Bucky tout en se sentant trahi par Cap' et (au lieu de parler, comme l'adulte pas trop débile qu'il est dans les autres films), il décide de leur défoncer la tronche (suggestion : on pouvait pas commencer par là ?).
Vous aussi, ça vous paraît aberrant ? Tu m'étonnes. C'est le pire plan de méchant de cinéma que j'ai jamais vu dans un blockbuster, je crois. C'était nul, ridicule, incroyablement stupide et mauvais. Si tu décides de faire un film d'action sans scénar, fais-le sans scénar, n'invente pas un truc aussi mauvais. Et donc, ce pauvre Baron Zemo, nazi plutôt badass et flippant dans les comics, tend des pièges dans des pièges histoire de... de quoi, d'ailleurs ? De rendre le scénario plus intéressant ? De faire son malin ? Ah, oui. De se venger. Youhou. Se venger des Vengeurs, ça c'est original.
Gâchis, ça vous paraît bien comme mot ? Parce que quand j'en vois le potentiel, quand je vois les scènes géniales, les personnages hyper travaillés, le budget, je n'ai que ce mot-là en tête. Surtout que la première heure du film est suffisamment lambine pour que, avec tout cet ennui, on se mette à repérer des faux raccords un peu partout : dans les courses-poursuites, dans les combats, et même dans cette fameuse scène durant laquelle Zemo tente de tuer un type en le noyant dans son lavabo, mais, quel dommage, en fait, il n'y avait pas assez d'eau. Pour moi, autant de faux-raccords, ça montre bien qu'il y a un problème dans la conception du film et que probablement, le montage final a été fait complètement à l'arrache. C'est bien dommage.
Bref : oui, Civil War est plutôt sympatoche, avec des bonnes scènes, un superbe travail autour des personnages et de leurs relations, et un scénar un poil plus développé que Age of Ultron. Mais là où Age of Ultron faisait dans le fan-service et le scénario-prétexte sans aucun complexe, en adaptant un arc qui, finalement, était plutôt classique, Civil War gâche un épisode qui aurait dû être plus développé. Le tout avec une mise en scène poussive, des combats vraiment dégueus (l'effet stéréoscopique devrait tout simplement être interdit et menacé de peine de mort)... Donc je n'ai pas détesté Civil War. Je vais le revoir, l'apprécier, et garder certaines répliques, certains passages, dans mes petits plaisirs. Mais comme quand tu dois manger du chocolat d'un oeuf Kinder sans avoir eu le jouet, j'aurais quand même un peu les boules. Non, mon problème ? Se référer à la première phrase de cet article.
Pas indispensable, mais de bonnes choses.