Quand le voyage temporel s'emmêle les pinceaux : Looper et Predestination
Récemment, dans la même semaine, j'ai vu Looper et Predestination, deux thrillers temporels qui ont beaucoup été comparés à la sortie du second. Looper, je voulais le voir car son réalisateur est le prochain sur la liste des films Star Wars, et que je voulais me faire une opinion sur son travail. Predestination m'a été quant à lui conseillé en réponse à ma déception après avoir vu le premier film.
Ces deux films étant radicalement différents, ils ne méritent pourtant pas la comparaison. Dans un cas, on a un film d'auteur qui lorgne sur le film d'action sans cervelle ; de l'autre, une mise en situation absurde et philosophique. Pourtant, parce qu'ils utilisent le même ressort du voyage dans le temps et des boucles temporelles, parce que je les ai vu au même moment et qu'ils me semblent tous deux assez typiques de ce que produit le cinéma de SF à l'heure actuelle, il est indispensable de les mettre en relation dans une critique croisée. Attention, certaines parties de cet article contiennent des spoilers. J'ai fait de mon mieux pour les limiter.
Looper : l'histoire
C'est l'histoire de Joseph Gordon-Levitt, qui a un super job : il doit tuer, dans le présent, des personnes qui lui sont envoyées par son patron depuis le futur, afin de les faire disparaître sans se faire choper par la police du futur (ni par celle du passé, du coup). Pour cela, il est super bien payé, mais il y a un hic. Un jour, il devra tuer son "lui" du futur (Bruce Willis), ce qui mettra fin à son contrat (de manière assez définitive) et lui permettra de vivre les 30 prochaines années avec son pactole (et la certitude qu'il ne mourra pas à 80 ans). Sauf que voilà, Bruce Willis est un filou, et le jour où il est renvoyé dans le passé, plutôt que de se laisser buter tranquillement par Joseph Gordon-Levitt, il se taille. En même temps, fallait s'y attendre, les mecs n'ont pas embauché Bruce Willis pour 2 secondes à l'écran et se faire tirer dessus. Bref, le patron n'est pas content, et nos deux héros (ou plutôt notre héros version passé et version futur) deviennent des fugitifs.
Predestination : l'histoire
Ethan Hawke est un agent temporel, chargé d'empêcher certaines catastrophes de se produire. En mission dans la peau d'un barman dans les années 1970, il rencontre John (Sarah Snook), un homme qui lui raconte l'histoire de sa vie un peu mouvementée, puisqu'avant, il a été une femme prénommée Jane. Ethan Hawke essaye d'embaucher ce John et pour cela, l'accompagne dans le passé de Jane, à la recherche du premier amour de sa vie.
Ouah, j'en reviens pas d'avoir réussi à vous résumer l'histoire sans trop la spoiler. Vous comprendrez quand vous verrez le film (ou si vous avez lu le livre dont il est adapté).
Une fournée de paradoxes temporels
Comprenons-nous bien : les paradoxes temporels, c'est mon kiff. C'est pour cette raison que j'adore autant le Doctor Who de Moffat, où il se permet tout sans se limiter à de la pseudo-science. Mais pour qu'un paradoxe temporel soit vraiment fun, il faut qu'il soit carré. On peut imaginer, comme dans Retour vers le Futur, qu'il y a une sorte d'effet "d'inertie" du voyage temporel, ce qui explique que Marty ne disparaisse pas immédiatement mais progressivement. C'est super pratique et ça évite les maux de tête. On peut aussi imaginer que le retour de Marty dans le passé pourrait créer une dimension parallèle où Marty et sa mère seraient allés au bal de promo ensemble, voire même se seraient mariés sans que ça ne le fasse disparaître. Le Marty revenu dans le passé devenant une sorte de double du Marty d'origine, dans une autre dimension, si on veut. Bref, on peut toujours un tant soit peu codifier le voyage dans le temps, parce que sinon, c'est la porte ouverte aux scénars branlants sans aucune cohérence. Genre celui de Looper. Parce que, à force de ne pas se décider sur un concept ou un autre, le scénariste a fait un mix un peu bizarre qui vous laissera le sourcil levé en scène finale. Sur ce point, Predestination maîtrise impeccablement ses paradoxes, ce qui lui donne facilement ma préférence. Heureusement, d'ailleurs, car les paradoxes y sont très importants.
Absurde ou philosophique ?
Ce qui est amusant, c'est que les deux films nous proposent une histoire très absurde. Mais là où Looper est complètement illogique du début à la fin (le pitch lui-même est absurde, si on pense deux secondes) et ne semble pas vraiment mettre à profit son statut de film sur le voyage dans le temps, Predestination nous offre une fable philosophique. Cette dernière remet en cause des notions aussi évidentes que l'amour, l'individualité, le destin... En fait, dans les deux cas, on pourrait se laisser aller à une réflexion qui va bien au-delà de l'histoire racontée dans le film ; seulement, il n'y a qu'en compagnie d'Ethan Hawke et de Sarah Snook qu'on parvient à le faire. Looper s'empettre dans un message pas clair, mal servi et avec une morale douteuse, tandis que l'univers hyper intéressant et plein d'opportunités qu'il avait commencé à mettre en place ne servira que de twist final. Tristesse.
Pas vraiment plein les yeux
Visuellement, là encore, malgré quelques fulgurances côté Looper (deux-trois scènes sont vraiment superbes), je préfère encore les plans et la mise en scène classique-mais-efficace de Predestination. Looper se paye des lenses flares hyper dégueu (tellement crades, en fait, que sur le coup, j'ai pensé que j'avais un problème d'éclairage chez moi) et des effets spéciaux vraiment pas foufous. De l'autre côté, on a un travail de maquillage qui passe vraiment bien pour Sarah Snook, et globalement, les effets spéciaux sont très corrects. Dans les deux cas, je n'ai pas eu de coup de foudre ni pour la photographie ni pour la mise en scène, d'autant plus qu'il faut bien avouer que les deux films participent à cette tendance très hollywoodienne qui consiste à montrer en mode "wink wink nudge nudge" les détails qui vont aider le spectateur à comprendre l'histoire. Dans le cas Looper, bah en fait c'est simple, on ne vous montre QUE ça, du coup les effets de surprise tombent complètement à l'eau. Comme en plus, le scénario est fin comme du papier bulle éclaté, le fait de ne montrer que des "indices" rend vraiment l'histoire imbuvable. Attention, hein, parce que Predestination n'est pas mieux côté "j'ai déjà deviné le twist depuis 1/2h". On y trouve aussi cette improbable scène où le film vous dévoile, après moultes boucles temporelles, un retournement scénaristique appuyé par une musique grandiloquente... qui tombe à l'eau parce que fallait vraiment être débile pour pas l'avoir vu venir.
Gardez le rythme (ou pas)
Bon, donc les twists ne sont pas le fort de ces deux films, même si clairement, le rebondissement final de Predestination a encore une fois ma préférence, et sauve le film (tandis que celui de Looper l'enterre définitivement). En fin de compte, tout est une question de rythme : Looper alterne des moments d'action, plutôt bien foutus, et de looooongs moments où il ne se passe rien, ça n'apporte rien à l'histoire, ça ne fait que rallonger artificiellement un scénario qui a déjà tout dévoilé. Son challenger prend le temps de monter en puissance, s'installe, doucement, et on ne voit pas le temps passer. Dans les deux cas, l'histoire aurait pu donner un formidable court métrage. Pour Looper, c'est d'autant plus vrai que le format long-métrage n'est PAS DU TOUT adapté. Enfin, ça aurait pu l'être si on avait pris le temps de développer l'univers. D'une certaine manière, il me rappelle Gravity, qui n'était pas un mauvais film en soi mais souffrait d'une élongation du scénario qui lui causait des rebondissements improbables (et hilarants sans le vouloir).
Bref
Je ne vous mentirais pas : j'ai passé un bon moment devant la première partie du film Looper, et si je n'avais pas eu a subir la fin, je l'aurais probablement bien aimé. Par contre, j'ai vraiment, vraiment apprécié Predestination du début à la fin, malgré un démarrage un peu lent. Je ne suis pas convaincue que ces films aient un potentiel culte, ou qu'ils soient vraiment indispensables à votre culture cinématographique. Toutefois, si vous avez quand même envie de les voir, vous pouvez lire ce qui suit.
Bref : Looper
Quand Looper est sorti, j'ai entendu crier au chef d'oeuvre, et je me dois de rectifier le tir. Looper est plein de bonnes intentions mais bancal, mal foutu et son scénario est tout juste correct pour un film de ce genre. Il aurait mérité d'être relu, révisé, retravaillé, étoffé avec une équipe de gens efficaces avant d'être jeté en pâture en salles. Je reste persuadée que les spectateurs de la première heure se sont laissés bluffer par de la poudre aux yeux et cette capacité qu'à eu le réalisateur à essayer de nous faire oublier la pauvreté du script. Mais il ne vaut pas les excellentes critiques qui lui sont attribuées sur les sites spécialisés. Peut-être que, pour quelqu'un qui n'est pas amateur de science-fiction et de films de genre, c'est une nouveauté agréable, mais croyez-moi, bien d'autres films et romans ont fait mieux, plus cohérent surtout. C'est pas parce qu'une oeuvre est "originale" (c'est-à-dire : pas une adaptation) qu'elle est forcément bonne, il faut vraiment arrêter de croire ça. Moi, je me demande encore ce que Bruce Willis est allé faire là-dedans (d'autant plus que lui et Gordon-Levitt ne se ressemblent tellement pas que je comprends pas le casting). Et le gamin et la nana sont deux énormes têtes à claques. C'est dit.
Bref : Predestination
Predestination, à l'inverse, n'a pas fait de vagues. C'est un film hors-circuit, australien, sorti en direct-to-DVD en France, mais c'est un petit film fort sympathique et agréable. Il est à la hauteur de son ambition, et parvient à rajouter une couche de paradoxes temporels à la nouvelle Vous les zombies (All You Zombies) de Robert A. Heinlein, dont il est l'adaptation, sans dénaturer le sens de l'oeuvre d'origine. Il ne cherche pas à vous bluffer, déroule son histoire simplement, et vous emporte. Sarah Snook et Ethan Hawkes y sont toujours justes, sans concourir pour l'Oscar. Predestination était à mes yeux un petit bonbon cinématographique comme on en trouve, de temps en temps. Et il peut, d'une certaine manière, même si ce n'est vraiment pas son but, être considéré comme du cinéma LGBT.
Pas indispensables, mais de bonnes choses. Surtout pour Predestination.