The True Lives of the Fabulous Killjoys, un combo spectaculaire
The True Lives of the Fabulous Killjoys est le titre d'une oeuvre multiple : à la fois un concept-album du groupe My Chemical Romance sorti en 2010, les vidéos illustrant ces chansons et une mini-série de comics publiée l'année dernière -sortie en format relié et en français cette année. Cet univers de science-fiction mâtinée de mythologie sort tout droit de l'imagination du prolifique Gerard Way, qui à l'aide d'un comparse, Shaun Simon, a décidé d'ajouter une pierre de plus à l'édifice déjà imposant de sa carrière.
Je vous ai déjà bassiné avec Gerard Way. Chanteur et parolier du groupe My Chemical Romance, scénariste d'Umbrella Academy, Way a ce petit quelque chose qui fait les génies. Une imagination débordante et surtout, l'incapacité à se contenter de raconter une histoire de manière linéaire. Là où une personne normale aurait écrit un simple livre ou un scénario, il mixe les médias, brouille les pistes et compte sur l'intelligence de son lecteur/auditeur/spectateur pour rattacher les pièces ensemble. Je ne suis pas encore sûre d'avoir tout compris de The True Lives of the fabulous Killjoys, et probablement qu'une grande partie de l'histoire est toujours conservée secrètement dans l'esprit de ses deux auteurs. Mais bon, je vais essayer de vous la présenter aussi fidèlement que possible. Parce qu'il serait dommage que vous passiez à côté : il s'agit de l'une des plus sympathiques découvertes que j'ai faites ces dernières années, aussi bien musicalement que d'un point de vue littéraire.
Danger Days : un concept-album né d'une apocalypse
En général, les conditions de réalisation d'un album indiquent pas mal de choses sur sa qualité. Le quatrième album du groupe My Chemical Romance a été enregistré une première fois en pleine tournée, et après le succès incontestable de The Black Parade (l'album qui les a propulsés au sommet). Le résultat était loin d'être satisfaisant pour les membres du groupe. Catastrophés, voilà nos rockeurs ex-émo qui reprennent tout à zéro. C'est au total plus d'une trentaine de chansons qui vont être écrites par les membres déterminés à rectifier le tir, pour n'en conserver qu'une infime partie. Après avoir passé plus de 4 ans à écouter cet album quasi-quotidiennement, je peux le confirmer, ils n'ont gardé que le meilleur.
Le concept-album, c'est un peu devenu une marque de fabrique chez MCR. Au fur et à mesure de l'écriture, ce qui devait être l'histoire d'un groupe de rock -on n'en saura probablement jamais plus- a été entièrement modifié. En effet, Gerard Way a pris la décision de l'intégrer dans un univers de comics qu'il co-créait à l'époque avec son ami Shaun Simon. Au final, si certaines chansons se raccrochent assez difficilement à l'histoire des fabuleux Killjoys, c'est plutôt une ambiance et des références à la pop-culture qu'il conserve. Rebellion, révolte, ultra-violence, et un univers commun rapprochent l'album du comic-book. Nous sommes en 2010, l'album sort, un an après que Gerard Way ait évoqué la création du comic lors du Comic-Con. C'est un carton. Le surprenant single aux accents punk "Na Na Na (Na Na Na Na Na Na Na Na Na)", dont la mélodie reste dans la tête pendant des heures, a beau être censuré, il s'impose très rapidement comme un classique.
Des éléments ont été ajoutés à Danger Days pour permettre aux fans de comprendre, en partie du moins, l'histoire des Killjoys. Le premier, c'est la présence dans l'album de pistes enregistrées par un certain Dr Death-Defying, qui présente les chansons comme le ferait un animateur radio. Oui, mais un animateur radio d'un futur post-apocalyptique, qui donne des conseils de survie à des groupes de rebelles qui se cachent dans le désert. Tout de suite, ça pose l'ambiance. Le second, c'est la réalisation de clips vidéo qui donnent non-seulement un sens aux propos les plus obscurs, mais aussi une identité graphique et un semblant de cohésion à l'album. Enfin, le troisième, c'est que les membres du groupe -réel- sont devenus les personnages du groupe Killjoys -imaginaire.
Les clips vidéo, comme toujours dans le travail de MCR, sont capitaux pour comprendre l'album. J'oserais même vous conseiller de commencer par les clips, avant de vous intéresser au contenu de l'album ou des comics.
Si vous pouvez très probablement apprécier les chansons de l'album prises séparément, l'album lui-même n'aura que peu d'intérêt sans cet éclairage indispensable. Autrement, vous ne comprendrez rien de cet univers post-apocalyptique, où les êtres humains sont contrôlés par une entreprise qui leur veut du bien, où les rebelles sont contraints à vivre dans un désert irradié et chassés par des tueurs à gage. Bref, il FAUT voir les clips, de préférence avant d'aller vous précipiter sur l'album.
Les révélations d'un comic-book passionnant
Teasé par Way en 2009, annoncé officiellement en 2012, édité entre 2013 et 2014, le comic-book The True Lives of the Fabulous Killjoys s'est fait attendre. On espérait que son contenu allait nous éclairer sur les personnages, l'univers et l'histoire tragique qui semblait plus ou moins transparaître de l'album. Pour tout vous dire, ça fait 4 ans que je veux vous parler de cet album, de ce monde fascinant, de ses personnages. Sauf que tout ça n'était pas encore très clair, et qu'une petite "explication de texte" était encore nécessaire. L'explication de texte, c'est ce fameux comic-book. Enfin, plus ou moins.
A l'instar de l'album musical, le comic-book a lui aussi énormément évolué. Il devait au départ s'attarder sur l'existence des Killjoys mais s'avère finalement plutôt éloigné de ces derniers. Il suit, plusieurs années après, l'histoire contée par le concept-album Danger Days. Les Killjoys sont relégués à des apparitions dans des flash-backs. Ce qui est surprenant au départ, mais s'avère un choix intéressant, d'autant qu'il permet à un lecteur qui ne serait pas mélomane de suivre l'histoire sans trop de chaos...
Là, c'est le moment de l'article où je vous invite à regarder la vidéo de clip que j'ai postée au-dessus, si vous ne l'avez pas déjà fait. On y voit les personnages des Killjoys, mais aussi une petite fille "La Fille" à laquelle ils apprennent à faire un tas de trucs cool comme hacker des distributeurs de piles ou tirer au lance-missile. La Fille a grandi, les Killjoys ne sont plus, et le monde dans lequel le comic-book nous fait atterrir manque cruellement de rebelles pour aller botter les fesses de la megacorporation Better Living Industries. Les "vampires" sèment la terreur. Même les robots rêvent d'évasion. De nouveaux héros doivent se lever et faire face à la dictature.
Si le comic-book nous permet d'en savoir un peu plus sur les Killjoys originaux (ceux de l'album et des clips), il se focalise surtout sur La Fille, l'héroïne de cette histoire ; elle est destinée à sauver le monde, mais pas forcément enchantée de sa propre destinée. En situant de jeunes gens complètement perdus au milieu d'un grand désert, dans un futur post-apocalyptique, à la merci du soleil, des radiations et de monstres ; en intégrant un mysticisme étrange au coeur de tous les éléments classiques de la SF, The True Lives of the Fabulous Killjoys joue sur des codes éculés et leur donne un coup de neuf. C'est triste et délirant, euphorique et déprimant, plein de messages pessimistes sur le monde dans lequel nous vivons et d'espoirs concernant les nouvelles générations. Graphiquement, ça claque, la talentueuse Becky Cloonan parvenant sans difficulté à rendre encore plus réel l'univers qu'on avait entre-aperçu dans les vidéos.
C'est l'oeuvre de deux quadragénaires bercés par la pop-culture, effarés du monde qui les entourent, et qui régurgitent ça avec violence, en font leur propre monde. Lire The True Lives of the Fabulous Killjoys m'a perturbée. D'abord, parce que l'histoire des Killjoys n'est toujours pas beaucoup plus claire, et qu'il me faudra encore de nombreuses lectures, croisées avec le visionnage des clips, pour tout saisir de sa richesse. Ensuite, parce que malgré le plaisir immense que j'ai eu à le lire, ce comics a su toucher la corde sensible, me mettre mal à l'aise. En fait, j'y ai retrouvé le plaisir d'un bon roman de Neil Gaiman.
Je ne peux que vous conseiller de vous plonger dans leur univers complexe et chaotique à votre tour. Associés, l'album papier et l'album musical ont tout d'une grande oeuvre multimédia. Accrochez-vous : le voyage ne sera pas facile, et rien ne vous dit que vous survivrez dans le désert. Mais rappelez-vous que si vous êtes désintégré, vous serez peut-être parti à jamais, mais votre ombre continuera à vivre sans vous.