Steins;Gate
Il y a peu, je traînais tranquillement, comme à mon habitude, sur divers sites d'otaku, lorsque mon téléphone m'annonça réception d'un message. La chose était surprenante en soi, mais mon étonnement fut décuplé lorsque je découvris que j'en étais moi-même l'auteur, quand bien même je n'avais aucun souvenir de l'avoir envoyé. Le contenu était une simple requête: "Regarde Steins;Gate." Je me suis connu plus bavard, mais le titre étrange et la promesse d'un anime de qualité attisèrent ma curiosité. Je n'avais d'ailleurs aucune raison de me méfier d'une recommandation émanant de ma propre personne (que je connais pour être quelqu'un aux goûts très sûrs), même en d'aussi étranges circonstances. Cherchant à me renseigner sur le mystérieux anime, ce que je découvris ne pouvait qu'être prometteur: reviews positives et notes parfaites partout, récemment promu #3 au classement de MyAnimeList avec un score mirobolant, autant dire qu'il me devenait impossible de ne plus le regarder; que sa popularité soit justifiée ou non, je ne pouvais plus échapper à Steins;Gate. En vérité, il me fallait à tout prix SAVOIR le pourquoi d'une ascension si fulgurante. Et quelques temps après, ma souris vola vers le premier épisode, mon lecteur vidéo ronronna de joie, et la vérité commença à se dévoiler à mes yeux... changeant à jamais les lignes du temps.
Steins; Gate est à l'origine un jeu de type Visual Novel édité par les sociétés 5b. et Nitroplus et sorti le 15 octobre 2009 sur X360, fait rare pour un jeu destiné au marché japonais. Si vous n'êtes pas familier avec ce type de jeu typiquement japonais, considérez qu'il s'agit d'un livre interactif dont vous êtes le héros; nombre des Visual Novel du marché sont des jeux de drague (on parle alors de dating sims) pouvant avoir un contenu érotique voire clairement hentai (qualifiés dans ce cas d'eroge). Steins;Gate n'entre cependant pas dans ces catégories, et fait plutôt partie des jeux exploitant le genre afin de créer une histoire complexe à embranchements. Des portages sur PC et les autres consoles de salon ont vu le jour les deux années suivantes. Traitant de voyage temporel, Steins; Gate est le second jeu d'une série en comportant trois à l'heure actuelle: son prédécesseur se nommait Chaos;Head (centré sur une histoire d'illusions et de réalités virtuelles), et son successeur est Robotics;Notes (pas de points pour en avoir deviné le sujet). Le scénario des jeux est dû à Naotaka Hayashi, qui fut grâce à ce travail repéré par Square Enix et invité à travailler sur le RPG pour 3DS Bravely Default; Flying Fairy. Les trois opus suivent des scénarios indépendants bien que supposés se dérouler dans le même univers.
La popularité de cette série de "science adventure games" leur a valu à chacun une adaptation anime: si celle de Chaos:Head (2008) n'est pas toujours bien vue, et que le plus récent Robotics;Notes (2012) recueille des avis allant du positif au mitigé, l'anime de Steins;Gate fut un véritable triomphe tant commercial que critique. La série, produite par le studio White Fox, fut diffusée au Japon du 6 avril au 14 septembre 2011, et a été par la suite licenciée aux USA par Funimation, mais ne l'est pas encore en Europe. Deux séquelles, un OAV et un film sorti en Avril 2013 dans les salles japonaises, ont également vu le jour.
Mais il est temps de s'interesser plus en détails à ce fameux anime. Nous sommes à Akibahara, le fameux quartier otaku et high tech de Tokyo, en 2010. Okabe Rintarou est un savant fou auto-proclamé, dont la paranoïa n'a d'égale que la grandiloquence. Enclin à partir dans des délires incompréhensibles, il aime à participer, sous le pseudonyme d' "Hououin Kyouma", à des conversations cryptiques avec son téléphone portable, marmonnant au sujet d'organisations mystérieuses complotant contre lui. C'est dans l'appartement qu'il loue au dessus d'un magasin de TV qu'il a installé le "Future Gadget Lab", quartier général où lui et Daru, son compère otaku et hacker, travaillent sur diverses inventions pas forcément utiles. Un jour son chemin croise celui de Makise Kurisu, une jeune prodige scientifique, lors d'une conférence sur le voyage dans le temps, autour de laquelle nombre de phénomènes étranges se produisent, comme la mort (?) de Kurisu ou le crash d'un satellite sur l'immeuble d'une station de radio. Recroisant peu après une Kurisu bien vivante, Okabe l'invite à rejoindre son labo afin de l'aider à finaliser sa dernière invention: une machine temporelle bricolée à partir d'un micro-ondes et d'un téléphone portable. Kurisu a beau être quelque peu désespérée par les manières d'Okabe, sa curiosité la pousse à rejoindre le labo.
Les premiers épisodes sont ainsi consacrés à la découverte du Future Gadget Lab et des divers personnages qui le fréquentent: Shiina Mayuri, l'amie d'enfance d'Okabe naïve et fan de cosplay; Ruka Urushibara, considéré comme une parfaite figure de féminité (sauf que... c'est un mec!); Faris, icône moe du quartier, serveuse dans un maid café et joueuse de TCG; mais aussi une jeune femme renfermée et mystérieuse nommée Moeka Kiryuu, et enfin Suzuha Amane, qui travaille pour l'été au magasin de TV et ne s'entend pas avec Kurisu pour une raison inconnue. Nos bricoleurs du temps finissent par trouver un moyen d'envoyer des messages dans le passé, qu'Okabe baptise "D-mails"... une bonne occasion pour certains d'entre eux de tenter de modifier leur destin par effet papillon.
Mais à jouer avec le continuum temporel, on s'expose à bien plus grave qu'un simple changement dans la vie de quelques uns. Et si le SERN (sic), que l'on sait conduire des recherches sur le voyage temporel jouait un rôle bien plus sombre, comme le soupçonne Okabe dans ses délires? Face aux conséquences dramatiques de son invention, Okabe se lance dans une quête acharnée à travers les lignes du temps. Brutalement, l'aspect slice of life léger de la série disparaît, pour faire place à un thriller temporel éffréné où l'on découvre peu à peu les drames personnels des protagonistes -et donc les raisons qui les ont poussé à vouloir changer leur passé. Okabe réussira t-il rétablir une ligne temporelle où tous ses amis sont en sûreté, et heureux? Et surtout... à quel prix?
Difficile d'en dire plus sans spoiler une série qui se doit d'être découverte directement, tant Steins;Gate sait ménager un certain nombre de surprises -souvent émotionnellement douloureuses- à ses spectateurs. Vous l'aurez peut être remarqué lors de ma présentation du synopsis: l'anime se divise clairement en deux parties distinctes: le début est consacré à une présentation des personnages et de leur compréhension/amélioration de la machine, et contient en vérité beaucoup de slice of life ponctué par les délires sans queue ni tête de l'innénarrable Okabe.
Le rythme de cette première partie est plutôt lent, et ce démarrage poussif est probablement le plus gros défaut de l'anime. Bien que suffisamment d'éléments soient placés pour attiser la curiosité du spectateur, on a l'impression qu'il ne se passe pas grand chose. Les effets des D-mails sur la vie des personnages commencent à éveiller un certain intérêt, puisqu'ils sont notre première approche concrète des effets du voyage temporel dans la série. Au chapitre des défauts, il faut également signaler que la série à du mal à sortir des carcans imposés par le genre même de son support d'origine: dans la plupart des visuals novels, on retrouve un schéma de scénario à embranchement multiples, où chaque "route" est représenté par un love interest du héros. Ce schéma classique du harem, Steins;Gate pouvait facilement s'en affranchir via son histoire très originale; mais bien qu'il est assez évident dans l'anime qu'Okabe n'éprouve d'intérêt que pour Kurisu, la façon dont les conflits sont résolus et les choix de casting autour d'archétypes féminins font bel et bien écho aux codes des VN classiques.
L'ambiance reste encore légère jusqu'à l'épisode 12; et là, tout change. Les conséquences des actions de cette bande de geeks mènent à une tragédie, et ces évènements sont le moteur de la quête désespérée et obsessionnelle d'Okabe. A partir de là, impossible d'en décrocher; non seulement les révélations pleuvent mais le drame est toujours très présent, et être témoin de la souffrance de ces personnages que l'on avait connus si insouciants fera monter des larmes aux yeux des plus endurcis. Même des personnages que je ne pouvais pas supporter au départ (citons Ruka, et dans une moindre mesure Mayuri) ont réussi à me toucher via leur destinée. Ou plus simplement, par empathie pour Okabe. La façade grand-guignolesque de notre héros le rend instantanément attachant et donc d'autant plus dure est la vision de tout ce qu'il traverse. Sa relation avec Kurisu, aussi, est bien développée et évite le cliché, malgré le caractère extrêmement tsundere de la demoiselle.
Steins;Gate parle de voyage dans le temps, et les protagonistes sont tous imprégnés de culture internet et otaku. On ne s'étonnera donc pas d'y trouver de nombreuses références à d'autres anime, mais aussi aux memes internet. Okabe, Daru et Kurisu postent régulièrement sur des équivalents de 2chan /4chan, et on saluera le travail des traducteurs (officiels comme amateurs) pour la transcription de certaines références que seuls pourraient comprendre les internautes japonais vers une version plus familière aux occidentaux. Bien évidemment, des classiques du voyage temporel (comme Retour vers le futur ou La Traversée du temps) sont abondamment référencés (d'où vient le "D" dans D-mail, selon vous?). Plus important pour l'intrigue, la mention de John Titor, qui posta sur 4ch plusieurs messages affirmant qu'il était un voyageur temporel; l'IBM 5100 perdu sera d'ailleurs un objet important pour que nos héros maîtrisent le voyage dans le temps.
Pour ce qui est des effets du voyage temporel dans la série, on se place sur une optique effet papillon/causalité mêlée au concept de multivers. De multiples lignes temporelles existent simultanément. Envoyer une information dans le passé (et plus tard, y voyager directement) provoque une série de réactions qui permettent de changer de ligne d'univers, mais seulement jusqu'à un certain point. La série évoque les différentes théories du voyage temporel (essentiellement celle utilisant les trous noirs, qui est à peu de chose près le concept utilisé par la machine de nos héros) et le jeu va même jusqu'à mentionner 11 des hypothétiques moyens de traverser le temps envisagés dans la vie réelle.
Il y a relativemment peu à dire sur l'OST de la série, qui est assez discrète. Des thèmes au piano soulignent de manière adéquate les moments dramatiques, et l'opening et l'ending sont plutôt sympa. Le travail des doubleurs originaux, lui, est excellent, celui d'Okabe particulièrement; Mamoru Miyano était déjà connu pour avoir doublé avec brio,entre autres, un certain Light Yagami. Graphiquement, l'anime est superbe. Peut être un peu trop d'effets de saturation lumineuse à mon goût, mais les décors sont détaillés et précis, et l'animation des personnages d'une fluidité parfaite. Bref, ce type d'anime n'est sans doute pas le plus gourmand en termes de techniques d'animation, mais c'est un plaisir à regarder.
Steins;Gate est il digne de son immense popularité dans la sphère otaku? Au delà du quotidien d'un savant fou et de ses amis, l'anime nous réserve un thriller temporel haletant et dramatique qui parvient à toucher même les coeurs les plus insensibles. Drôle, tragique et truffé de références croustillantes, l'anime ne serait rien sans son héros charismatique et le rire maniaque d'Okabe Rintarou- pardon, Hououin Kyouma- résonnera longtemps à nos oreilles. L'anime est il surévalué? Son démarrrage très lent me fait dire que oui,mais même ce défaut évident n'est en rien une raison pour passer à côté, tant l'ensemble s'avère excellent. Alors si vous aussi vous avez toujours souhaité connaître le rapport entre un micro-ondes, une banane, et le voyage temporel, sautez d'urgence vers une ligne d'univers, passée ou future, où regarder Steins;Gate!
L'épisode final achevé, j'essuyai la dernière des larmes que la série avait réussi à m'arracher, heureux du voyage à travers l'espace et le temps que je m'étais si généreusement offert. Je me levai, et fus soudain saisi de l'importance qu'aurait la suite de mes actions sur la marche de l'ensemble de l'Univers. Nul paradoxe ne pouvait subsister. Impossible de permettre que l'Organisation triomphe ainsi, et il me fallait faire vite. Je savais désormais pertinemment quelle mission était la mienne: sans plus attendre, je saisis mon téléphone, et m'approchai du four à micro-ondes trônant dans la cuisine. Avec une révérence digne de celui qui officierait sur un mecanisme complexe et fragile issu d'une brillante civilisation perdue, j'entrai les paramètres, composai un message succint, et pressai la touche fatidique. La certitude de la réussite m'envahit sitôt que mourut le dernier arc électrique. Les rouages du destin étaient en marche, mon message avait accompli son oeuvre, et c'était le choix de Steins;Gate.
El. Psy. Congroo!
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