Pourquoi Hunger Games n'est pas un autre Battle Royale
Ces temps-ci, sur youtube et dans les gares, impossible de ne pas entendre parler d'Hunger Games. Cette trilogie de livres pour ados vient de voir son premier volet adapté au cinéma, et l’on se retrouve donc à imaginer des univers et des ambiances dans le goût d’un Harry Potter ou d’un Twilight. Le pitch est pourtant quelque peu décalé : dans un monde post-apocalyptique, des jeux sont organisés en punition d’une ancienne révolte. Douze jeunes filles et autant de garçons sont choisis pour s’entretuer devant les caméras.
Si certains semblent trouver le pitch très original, j’ai tout de suite fait le lien avec Battle Royale, roman de Kôshu Takami et film culte de Kinji Fukusaku, avec Takeshi Kitano – un de mes films favoris. Tombant par hasard sur un guide qui prétendait relever toutes les influences de Hunger Games, j’ai évidemment cherché une quelconque référence… qui n’y était pas. Un peu surprenant, mais pas forcément choquant : il nous arrive à tous une fois dans notre vie de croire qu’on a réinventé l’eau chaude. Les Japonais l’ont malgré tout assez mal pris, considérant qu’il s’agissait d’un plagiat sans équivoque. Je crois pourtant qu’il s’agit de deux œuvres et univers fondamentalement différents.
Avant toute chose, je tiens à préciser que je n’ai ni vu ni lu Hunger Games et je rédige cet article uniquement à partir des informations obtenues sur le net. Par conséquent, si vous relevez des incohérences ou des inexactitudes, n’hésitez pas à m’en faire part dans les commentaires.
Notez que cet article contient quelques spoilers.
Rappelons brièvement les deux œuvres pour les non-amateurs de survival movies.
Battle Royale se déroule dans une uchronie, un Japon totalitaire mais dépassé par sa jeunesse, où une classe de troisième est sélectionnée pour participer à un programme de survie. Les règles : ils ont trois jours pour s’entretuer. Le survivant aura le droit de retrouver une vie normale. S’ils échouent, ils seront tous tués.
Le décor d’Hunger Games est une Amérique du Nord post-apocalyptique, un monde également totalitaire, où les jeux de la faim ont été mis en place après une rébellion. Pour dissuader ses habitants de recommencer, deux jeunes gens de chaque district sont prélevés comme tributs pour participer à un grand jeu télévisé où seul le dernier s’en sortira vivant.
Parmi les ressemblances, passons rapidement sur le pitch, que vous avez tous compris. Des adolescents sont entraînés dans un jeu mortel dont seul un peu sortir vivant. Dans les deux cas, le jeu est utilisé par un pouvoir tyrannique dans un but de contrôle total d’une population. On y suit principalement un garçon et une fille, dont on sent rapidement qu’ils sont destinés à devenir un couple et probablement à survivre jusqu’à la fin, même si les jeux ne sont pas supposés compter plus d’un gagnant. On retrouve des similitudes dans quelques détails : les « Carrières », par exemple, ces tributs déjà entraînés et volontaires pour représenter leur district aux Hunger Games, rappellent le personnage de Kazuo Kiriyama, qui dans le film s’est volontairement inscrit pour participer au jeu. A priori, la liste des ressemblances s’arrête là.
Pour ce qui est des différences, il y a d’abord celles qui sautent aux yeux : à ma droite, un film japonais ultra-violent interdit au moins de 16 ans mais contemplatif quand même – aucun film nippon n'y échappe. A ma gauche, un film américain à grand spectacle, estampillé PG13 aux Etats-Unis – ce qui lui vaut à peine un avertissement en France – pour pouvoir coller à son jeune public. Cette différence de traitement est d’ailleurs visible dans le choix d’une partie du casting : plusieurs des acteurs choisis pour incarner les tributs dans Hunger Games, en tout cas ceux qui ont un rôle plus mineur, sont en réalité cascadeurs de formation. On ne leur demande pas forcément de la subtilité, mais des prouesses physiques. Cela reflète assez bien les ambitions artistiques assez opposées des deux livres : le roman nippon, destiné à un public adulte, disserte à loisir sur l’absurdité de la violence – et du monde en général. L’américain, s’il montre également une volonté de faire réfléchir ses lecteurs sur le totalitarisme et la désobéissance civique, reste un roman jeunesse épique.
Les jeux ne prennent pas non plus les mêmes formes bien qu’ils poursuivent le même but d’affirmer le contrôle d’une partie de la population sur une autre : les nantis du capitole contre les habitants des districts, les adultes contre les jeunes. Les Hunger Games sont avant tout une affaire de spectacle. Choisis lors d’une sorte de rituel à date fixe, briefés et relookés comme n’importe quel candidat de télé-réalité, les tributs sont préparés à leur sort. Ils sont entraînés, certains depuis longtemps, connaissent les règles du jeu et acceptent leur sort sans chercher à se rebeller contre un système à la violence omniprésente. La violence de Battle Royale est plus insidieuse ; les protagonistes sont persuadés d’aller en voyage scolaire avant d’être capturés. Si une seule classe participe au jeu dans le film, le roman parle en réalité de cinquante classes par an, soit une sur 800. Malgré l’ampleur du massacre, les jeux restent assez mystérieux pour tout le monde – malgré la première scène du film, où les journalistes accueillent la gagnante d’un des jeux. La violence les prend par surprise, sans aucune préparation.
Ce sont également des jeunes qui se connaissent et se fréquentent tous depuis à peu près trois ans, qui ont eu le temps de développer des affinités et des rancœurs. On peut voir dans Battle Royale un travail de sape des relations entre des jeunes pourtant proches, où aucune confiance et par conséquent aucune solidarité n’est possible. Les tributs, par définition, ne connaissent au mieux que leur binôme, ils n’ont donc pas de raison de chercher à construire une relation affective, au contraire. Pour eux, la situation est rationnelle. Ils ne luttent pas contre le système (enfin si, mais un peu par défaut, sur la fin), ils l’acceptent. Les collégiens de Battle Royale sont surpris, choqués, tentent de se révolter par tous les moyens – y compris en se suicidant, ce qui revient à refuser de jouer, mais n'est pourtant pas un problème pour les organisateurs (alors que quand Katniss menace de mettre fin à ses jours, les organisateurs des jeux de la faim sont mis en difficulté). On utilise donc plusieurs moyens pour les forcer à participer : les colliers explosifs, activables à distance en cas de comportement suspect, et un temps limité de trois jours. Ce temps n’a pas vraiment de sens pour les Hunger Games : c’est un jeu télévisé, qu’on espère donc faire durer un peu, pour le spectacle. Spectacle d’ailleurs assuré par les protagonistes qui mettent en scène leur relation amoureuse, visible avant d’être réelle, alors que les Japonais s’aiment secrètement et ne se rapprochent qu’à cause de la violence qui les entoure.
Enfin, le traitement post-jeu est révélateur d’une certaine mentalité, que j’ai envie de qualifier de nationale. Il n’y a pas vraiment d’issue à Battle Royale : même si les héros s’en sortent, c’est pour vivre une vie de fugitifs. Ils sont seuls face à un pouvoir fort, qui ne semble pas près de s’écrouler – même si, visiblement, ils tournent terroristes dans les années qui suivent. Aucune véritable solution n’est apportée, et à la violence ne répond que la violence. En revanche, face à l’exemple que donne Katniss durant les jeux de la faim, le peuple des districts se soulève et entre dans une rébellion dont l’issue fait assez peu de doutes. Optimisme yankee contre résignation nippone...
Au final, ce qui sépare le plus ces deux histoires, c’est qu’elles ne racontent pas du tout la même chose. Le thème fondamental de Hunger Games, c’est la société du spectacle, son voyeurisme, et sa capacité à annihiler tout esprit critique. Du pain et des jeux, d’après l’adage romain, suffisent à contrôler un peuple ; l’auteur l’avait probablement en tête puisqu’elle a nommé le lieu du roman Panem, soit « pain » en latin. Dans Battle Royale, c’est la violence aveugle et absurde qui règne, qui frappe au hasard, pour essayer de gérer une jeunesse incontrôlable ; la seule réponse trouvée par un système oppressant à un conflit générationnel.
Que vous alliez découvrir ou non Hunger Games en salle, rien ne vous empêche de voir – ou revoir – Battle Royale, dont seule la pellicule a un peu vieilli. On pourrait croire que le jeu des acteurs aussi, mais non, en fait c’est juste qu’ils sont japonais.