Lisbeth Salander, la geekette suédoise la plus connue de la planète

Elle mériterait même le titre de geekette de l’année, cette chère Lisbeth. Si vous aimez les polars, vous n’êtes probablement pas passé à côté de Millenium, la trilogie de feu Stieg Larsson, un journaliste engagé et féministe. Le pauvre n’a jamais pu constater le succès de son travail, un infarctus l’ayant mis définitivement game over à cinquante ans, au plus grand regret de ses fans. Les livres ont fait un tabac, les adaptations sorties en 2009 et 2010 un peu moins, mais ont effectué des scores honorables pour des films suédois.

Stieg Larsson a du mérite. Ses livres ne sont pas parfaits : ses tics de journalistes se voient à des kilomètres et il part vite dans des explications encyclopédiques pas toujours faciles à suivre. Mais ses intrigues sont toujours fouillées, intéressantes, improbables et il a créé un des personnages les plus fascinants de ces dernières années : Lisbeth Salander.

On est d’abord perplexe : la jeune femme est décrite comme une punkette qui serait une sorte de déesse de l’informatique. Une définition qui renvoie directement à tous les clichés véhiculés sur les geeks et les surdoués, bref, pas très encourageant. En ce qui me concerne, je n’ai donc commencé à m’intéresser au personnage qu’après avoir vu le film adapté du tome 1 de Millenium, Les Hommes qui n’aimaient pas les femmes, où Lisbeth est incarnée par une inconnue, Noomi Rapace.

J’ai eu, je l’avoue, le coup de foudre. Car notre héroïne a beau avoir quelques côtés caricaturaux (elle a d’ailleurs un potentiel de Mary-Sue assez démentiel : intelligence hors du commun, passé lourd comme un semi-remorque…), elle est crédible, détaillée, attachante. Son interprète a eu l’intelligence de ne pas suivre le livre trop fidèlement : celui-ci a tendance à nous décrire toutes les réflexions de Lisbeth, ce qui est certes très appréciable à l’écrit, mais en ferait une incorrigible bavarde une fois à l’écran. Or, Lisbeth n’est pas vraiment une commère…

La Lisbeth Salander du premier film est une taiseuse, introvertie et sérieusement handicapée dans le domaine des relations sociales et de la communication corporelle. Des caractéristiques héritées d’expériences douloureuses en série et très probablement d’un syndrome d’Asperger, sorte d’autisme léger. La seule chose qui la pousse à passer outre ce caractère, c’est sa curiosité; en l’occurrence celle qu’elle éprouve envers Mikael Blomkvist, journaliste condamné pour diffamation (elle est sûre que cela cache un complot), puis envers l’enquête qu’il mène sur un assassinat commis quarante ans plus tôt. Une curiosité qui la pousse à abandonner toute sa prudence et envoyant un mail à l’enquêteur amateur, ce qui lui permettra de retrouver son informatrice sans aucun problème.

Un scénario qui s’éloigne légèrement du livre, mais qui permet de retrouver un portrait de femme nuancé et subtil. Car ce sont toutes ces faiblesses de Lisbeth, son incapacité à communiquer même quand elle ressent de l’affection ou de la reconnaissance pour quelqu’un, son côté totalement bourrin, son intransigeance presque malsaine qui en font un personnage réaliste. Les différents réalisateurs la font presque toujours apparaître dans des plans très sombres, accentuant l'aspect ambigu du personnage.

Trop souvent, l’héroïne geek est une fausse laide, timide mais sympa, qui finalement est reconnue pour ses talents et finit en « homecoming queen » et au bras d'un quaterback souriant. Lisbeth a plutôt tendance à se tirer en loucedé après avoir mis le feu à quelqu’un ou avoir démoli un crâne à coup de club de golf ou de hache. Le pire, c'est qu'on lui en veut même pas : c'est grâce à cela qu'elle sera encore libre et vivante à la fin, malgré avoir subi un viol, s'être faite enterrer vivante, s'être prise une balle dans la tête et une autre dans le genou, avoir été la cible d'un parrain de la mafia et des services secrets et avoir été recherchée par la justice suédoise. Cette nana, c'est un peu Terminator.

Les rares amis que Lisbeth se fait, c’est presque en dépit d’elle-même. Son sens des valeurs est extrêmement… personnel. Elle n’est pas jolie (enfin tout est relatif : Noomi Rapace est vraiment une belle fille même couverte de piercings) et a un sens de l’esthétisme assez douteux. Elle ne comprend rien à la musique. Mais elle fait de la boxe. Elle mange comme un cochon (elle se nourrit principalement de pizzas et de café) et fume comme un pompier. Bref : une héroïne comme on n’en fait plus.

C’est bien gentil tout ça, me direz-vous, mais en quoi est-elle une geekette cette fille-là ? C’est là que ça devient drôle. Salander est une geekette professionnelle : son travail, c’est de fouiller dans la vie des autres et elle trouve que ça marche particulièrement bien sur le net. Le livre regorge d’ailleurs de description des logiciels qu’elle et d’autres membres de la communauté internationale des no-life ont mis au point… Des logiciels crédibles et bien expliqués (peut-être même trop). Un point pour Stieg Larsson, qui lui savait sûrement comment on prononce MMORPG en suédois.

J’ai malgré tout un gros regret en ce qui concerne Lisbeth. Les personnes qui se sont contentés de voir la trilogie au cinéma l’ignorent, mais Salander n’est pas fille unique. Stieg Larsson avait annoncé dès le premier livre qu’elle avait une sœur, jumelle de surcroît. J’ai l’intime conviction qu’il comptait amener cette sœur sur le devant de la scène dans un prochain volume : celle-ci, prénommée Camilla, a mystérieusement disparu de la circulation bien des années avant le premier livre. Dans ce cas, pourquoi Larsson l’aurait-il citée s’il ne pensait pas la faire revenir ? Eh bien on ne le saura jamais, les ayant-droits de l’auteur refusant rendre public les brouillons des livres et le début du tome 4, que Stieg Larsson avait commencé avant de mourir… Ce qui est, si je puis me permettre, un vrai scandale.

Je suppose qu’il est désormais évident que je conseille à tout le monde la lecture de la trilogie de Larsson et leur transposition cinématographique. Quoiqu’on puisse leur reprocher, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui n’avait pas été touché par Lisbeth Salander, son histoire, et par l’incarnation plus vraie que nature qu’a réalisée Noomi Rapace.

Sachez tout de même qu’une adaptation hollywoodienne est en cours, avec Rooney Mara pour reprendre le rôle de Noomi Rapace. Rien que pour le principe, j’en suis malade d’avance.

Bonne lecture et bon films !