baleine_bleue... j'errais, laissant le vent me guider au milieu des étagères emplies de livres d'une célèbre enseigne dont je tairais le nom... Mes pas me conduisirent alors à une nouvelle découverte. Ou plutôt, des retrouvailles. Avec l'un des auteurs qui donnaient ses lettres de noblesse à la fantasy dite "jeunesse", et prouvaient que les sorciers balafrés n'étaient pas les seuls à pouvoir emmener les gens dans des rêves colorés. Sans limite. D'âge, d'expérience ou d'imagination. Le nouveau roman de fantasy de Pierre Bottero, Les Ames Croisées se présentait à moi. Je m'en réjouis tout d'abord, mais en feuilletant le livre, la première page teinta ma joie d'amertume: ce roman serait le dernier, l'auteur ayant été emporté par un accident, le 8 novembre 2009. Aussi me devais-je de lui rendre ce petit hommage, revenant sur ses trilogies les plus marquantes, et  saluant une nouvelle fois ce magicien qui savait que les mots étaient une porte. Vers le rêve et la liberté.

Un petit mot, d'abord, de la Fantasy jeunesse, genre ayant les faveurs de dragonPierre Bottero depuis une dizaine d'années. Ne se limitant pas au best-seller de JK Rowling, ce genre, ciblant primitivement les 11 - 16 ans a en réalité eu un impact sur un public bien plus large dans les années 2000. Boosté par Harry, mais aussi par les adaptations cinématographiques et les rééditions subséquentes du monument de Tolkien, le Seigneur des Anneaux, il a acquis une place non négligeable au sein des littératures de l'imaginaire. Car si les les adeptes de fantasy "adulte" regardent parfois le genre de haut, il n'en constitue pas moins une excellente ouverture sur le(s) monde(s) foisonnant(s) de la Fantasy. Et même le moins à la page des journalistes a pu constater l'effet bénéfique qu'ont eu ces sagas sur des jeunes parfois réticents à la lecture (un cas encore trop fréquent): accessibles et efficaces, s'étendant sur plusieurs tomes dépassant chacun les 200 pages, les séries savent motiver leurs lecteurs, et des livres pourtant impressionnants sont avalés en quelques jours. De nombreuses séries ont fleuri, et quelques perles ont suffi à donner crédit à cette branche de la fantasy: citons A la croisée des mondes (P. Pullmann), La trilogie de Bartiméus (J. Stroud) , ou encore le méconnu Vent de Feu ( W. Nicholson).
Comme en fantasy "classique", on remarque la prédominance des auteurs anglo-saxons... En France, les auteurs de fantasy jeunesse les plus connus sont, Erik L'Homme (dont les trilogies du Livre des Etoiles et Phaenomenon commencent même à s'exporter), et bien sûr, le regretté Pierre Bottero, sujet de l'article d'aujourd'hui.

220px_Pierre_Bottero_20080315_Salon_du_livre_1Né le 13 Février 1964 à Barcelonette dans les Alpes, Pierre Bottero a vécu l'essentiel de sa vie en Provence; il a été instituteur jusqu'à ce que l'écriture lui permette de vivre ( à peu près au moment de la parution de la deuxième trilogie Ewilan, si je ne me trompe).  Il a toujours écrit pour la jeunesse, avec d'abord des romans "conventionnels" (par exemple Tour B2, mon amour ou Le voleur de chouchous... ) avant de se lancer dans la Fantasy, genre dont il n'a jamais caché être grand admirateur. Passionné par (entre autres) Tolkien, Howard, ou plus récemment Damasio, fan inconditionnel de Star Wars, il était également un grand rôliste dans sa jeunesse, et ces influences multiples se ressentent dans ses oeuvres. D'ailleurs, il les revendique clairement, se permet d'y glisser des allusions, et n'hésite pas à affirmer que ses écrits et sa personnalité leur doivent beaucoup.
D'ailleurs, ce n'est pas réellement à l'originalité de ses histoires que tient sa popularité, bien que quelques très bonnes idées les aggrémentent, mais plutôt son style d'écriture. A la fois simple à appréhender et incroyablement poétique, jouant avec les mots et les phrases pour transmettre un ressenti, cette manière d'écrire nous emmène avec un plaisir certain au coeur des rêves de l'auteur. Qui deviennent un peu les nôtres. Le terme de "prose poétique" prend tout son sens avec Bottero, qui surpasse là bon nombre de ses "concurrents" au style plus conventionnel.  Ecrire aussi bien avec des mots parfois si simples relève d'un exploit qui mérite à lui seul le respect. Et si l'on ajoute l'humour toujours présent dans ses histoires, les petites piques aigre-douces envers notre société qui s'y glissent parfois ou leur rhytme toujours soutenu, on comprend mieux à quel point il méritait son succès.
On irait même jusqu'à lui pardonner quelques défauts un peu gênants pour le fantasy-ste averti, à savoir que tous les habitants de ses mondes parallèles parlent le Français (sisi, même ceux vivant sur un continent à l'écart de tous les autres depuis 3000 ans...) ou la prévisibilité de certains rebondissements.
Sans plus attendre, jetons un regard plus détaillé aux sagas formant le ciment de son univers, qu'il souhaitait encore développer, liant tous ses romans entre eux... sans doute, par d'étincellants ponts de diamant.
On notera que toutes ces séries ont été publiées chez Rageot.

La Quête d'Ewilan (2003 - 2004):

ewi1Première incursion de Bottero dans le domaine de la Fantasy pure, cette trilogie pose donc les bases de son univers. Cette série comporte les volumes D'un monde à l'autre, Les frontières de glace, et L'île du Destin. Et si le style met un peu de temps à s'adapter (le début du premier tome n'atteint pas encore le niveau de poésie qui deviendra la marque de fabrique de l'auteur) nous découvrons ici un univers fort plaisant, possédant suffisament d'éléments originaux pour se démarquer de ses congénères.
Camille Duciel, jeune surdouée de presque 14 ans mène une existence plutôt ennuyeuse dans le monde que nous connaissons, élevée par une famille adoptive qui la méprise... Jusqu'au jour où, on pouvait s'y attendre, elle échappe à un accident en se transportant inconsciemment dans un autre monde, plus précisément sur le continent de Gwendalavir. Après quelques péripéties impliquant un chevalier, des choses imaginées devenant réelles et autres monstres peu avenants, Camille apprend qu'elle est en réalité originaire de Gwendalavir, se nomme Ewilan Gil'Sayan (bien plus classe que Camille Duciel) et que ses parents l'ont jadis déposée dans notre monde, après avoir scellé ses souvenirs, pour la mettre en sécurité. Rien que ça.
En prime, elle possède le Don du Dessin. Lequel ne se limite pas à des feuilles de papier: très répandu en Gwendalavir, le pouvoir du Dessin consiste basiquement à matérialiser un objet plus ou moins tangible (flamme, lumière, bâton, arme, ou même message télépathique, voire "Pas sur le Côté" aka téléportation...) à partir de ce que le pratiquant imagine. En passant par les "Spires" d'une dimension parrallèle, l'Imagination, le dessinateur peut donner une forme à ses créations mentales, puis les faire basculer dans la réalité. Ce pouvoir recèle bien évidemment de nombreuses subtilités, et rares sont ceux pouvant en faire un usage véritablement utile. Cependant, l'économie de l'Empire de Gwendalavir repose grandement sur les dessinateurs: les 12 Sentinelles, les plus puissants d'entre eux, assurent à la fois la sécurité de l'Empire et la fiabilité de son réseau de communications. Les parents d'Ewilan faisaient évidemment partie de ce corps prestigieux. Oui mais voilà, certaines Sentinelles ont trahi voici quelques années, en pactisant avec l'aimable race des Ts'liches, ennemis héréditaires de l'humanité dans ces contrées... On pourra remercier l'instigatrice de la révolte, Eléa Ril'Morienval, elle-même Sentinelle et haïssant cordialement Ewilan et sa famille.
Le résultat: toutes les Sentinelles se sont retrouvées emprisonnées par ces charmants lézards croisés mante religieuse ewi2(toutes parceque bon, les Ts'liches ont une notion toute relative de la reconnaissance). Sans l'obstacle que constituaient ces puissants gardiens, nos Ts'liches ont eu le loisir d'installer un verrou dans l'Imagination, afin de bloquer les pouvoirs des dessinateurs Alaviriens. Peu nombreux, ils ont finalement eu recours au peuple guerrier et peu futé des "guerriers cochons", les Raïs, pour attaquer massivement les humains. Bref, même si les armées impériales parviennent tant bien que mal à contenir les invasions, l'Empire est au bord du chaos.
Et devinez qui va devoir l'en sortir? Notre jeune Ewilan, bien évidemment. Sa quête consistera donc à retrouver les Sentinelles prisonnières, mais aussi sa famille, son frère ayant été déposé dans notre monde en même temps qu'elle, et ses parents ayant subi le même emprisonnement que leurs collègues, mais dans un lieu différent. Bien entendu, plusieurs compagnons se joindront à elle, à commencer par Salim, son meilleur ami (et même un peu plus...) qui la suivrait dans la mort et au delà, ou encore Edwin, le guerrier invincible, Bjorn le chevalier fanfaron, et bien évidemment la subtile Ellana, membre de la mystèrieuse guilde des Marchombres, sur laquelle j'aurais tout loisir de revenir, lorsque j'évoquerais la trilogie consacrée.

Une première trilogie nous introduisant donc à l'univers Alavirien, aussi coloré que propre à susciter notre envie d'y voyager, que ce soit par le biais de ses personnages hauts en couleur ou encore ses paysages empreints de poésie... L'humour est également présent, et apporte une fraîcheur supplémentaire aux aventures qui nous sont contées, et les affrontements sont également de très bonne facture. Et n'oublions pas l'amour, bien présent, tel un poème que la mièvrerie ne vient pas entacher. Les personnages aiment, tout simplement. Sentiments aussi naturels que la respiration, rendant le reste futile. Et Pierre Bottero n'a jamais caché qu'il accordait une grande importance aux sentiments de ses personnages, allant jusqu'à affirmer qu'il tirerait une grande fierté, si un quelconque "spécialiste" de l'imaginaire venait à qualifier ses romans de "Love Fantasy"!
Tous les ingrédients d'un excellent divertissement sont donc réunis dans cette première trliogie, qui n'est peut être pas la plus flamboyante de toutes mais constitue une très appétissante mise en bouche.

cartegwendalavir

Les Mondes d'Ewilan (2004-2005):

ewi5Deuxième trilogie alavirienne, suite directe de la précédente, au point qu'on désigne souvent les tomes la constituant par les numéros 4 (La forêt des captifs), 5 (L'Oeil d'Otolep) et 6 (Les Tentacules du Mal). La fin de la trilogie précédente étant assez ouverte, cette suite semble donc un complément assez logique, qui a en outre l'avantage de développer certains éléments de l'univers restés au second plan dans les trois premiers tomes, comme la guilde des Marchombres. Reprenant la galerie de personnages de la Quête, ainsi que le même cocktail gagnant, cette nouvelle histoire nous fait également découvrir de nouveaux horizons, en nous entraînant jusqu'au "continent de l'Est" jusqu' alors inconnu des Alaviriens.
On notera cependant que le premier tome de cette trilogie, plus sombre, a reçu un accueil plus mitigé que les deux suivants qui revenaient aux bases de la série, la quête et le groupe. (quand je vous disais qu'il y avait une influence rôliste.)
Au niveau de l'histoire, disons qu'elle reprend dans notre monde, avec une Ewilan et un Salim en mauvaise posture, la première ayant été capturée par Eléa Ril'Morienval et enfermée dans un laboratoire secret, lieu d'expériences peu éthiques, le second faisant tout pour l'en sortir. Ce qui permettra au passage de rencontrer, dans ce même laboratoire, un jeune garçon nommé Illian, originaire d'une cité du fameux continent de l'Est, et pourvu d'un don singulier lui permettant d'imposer sa volonté à toute chose.
L'exploration de ce continent devenant une priorité par la suite, ce sont d'abord les parents d'Ewilan, puis cette dernière et ses compagnons qui se lanceront dans l'aventure. D'autant que la cité d'où vient Illian pourrait bien avoir un lien avec cette terrible entité démoniaque qui tente d'envahir le monde en passant par les Spires...
Plus d'action, donc, mais aussi une volonté de consolider un univers qui allait occuper à des degrés divers tous les projets futurs de l'auteur.

Si cette deuxième trilogie reste globalement plus sombre et sérieuse, l'humour n'est pas oublié: voyez le mythique combat contre les boneheads dans le métro (tome 4) et les traditionnelles piques de Salim et Bjorn. Et les éléments offerts par le tome 5 sur les énigmatiques Marchombres serviront de terreau aux livres consacrés au personnage d'Ellana en particulier et à sa guilde en général.
Principal regret quand à cette trilogie, l'absence de "bonus" humoristiques à la fin, contrairement à la première... Des textes additionnels seront cependant publiés sur le site officiel.

L'Autre (2006-2007):

Trilogie se déroulant, en théorie, de manière indépendante des aventures d'Ewilan et compte les tomes Le Souffle de la autre2Hyène, Le Maître des Tempêtes et La Huitième Porte. Comme son titre le suggère, cette série est relativement différente des autres, on notera également que le public visé est légèrement plus âgé. Cependant, on s'apperçoit vite que cette histoire n'est pas si dissociée que cela des tomes précédents. Les quelques allusions discrètes à Ewilan dans le premier tome se font plus évidentes dans le second, et le troisième comporte plusieurs chapitres de cross-over évident entre les deux séries, avec l'apparition d'un nouveau personnage que les lecteurs d'Ewilan n'auront aucun mal à identifier.

Au début de l'Antiquité, alors que les hommes de notre monde commençaient à s'ériger en civilisations, sept puissantes Familles émergèrent et gagnèrent au fil des années, puis des siècles, une réputation et une influence immenses. Chaque Famille possédant un pouvoir, touchant au surnaturel, qui lui est propre, lui permettant d'acquérir un ascendant considérable sur ses compatriotes. Ces Familles étaient les Cogistes (capacités physiques et intellectuelles supérieures), les Métamorphes (pouvoir de transformation animale, vous vous en doutiez),  les Mnésiques (mémoire ancestrale commune et exhaustive), les Scholiastes (facultés d'apprentissage instantanné, par simple observation), les Guérisseurs (pouvant se régénérer OU soigner les autres), les Bâtisseurs (don inné pour l'architecture en particulier, et possèdent la science des Portes, permettant d'ouvrir la voie vers d'autres lieux ou même d'autres mondes), et enfin, les Guides (pouvoir de prescience, et sont en outre capables de percevoir les équilibres du monde, tentant de guider les Hommes vers le meilleur futur possible).

autre3Les Bâtisseurs, initialement les plus puissants de tous grâce à leur pouvoir sur les Portes, découvrirent ainsi un autre monde, qu'ils baptisèrent l'Ailleurs. Ils y construisirent une Maison pourvue de 1000 portes, chacune ouvrant sur un lieu différent. La Maison étant ceinte d'une prairie carnivore infranchissable, ils ne purent explorer l'Ailleurs, et se dirigèrent vers d'autres mondes. Malheureusement, l'un de ces mondes recelait une puissante entité, l'Autre, qui passa la Porte dans l'autre sens, et livra à l'humanité une guerre sans merci. Vaincu par les forces réunies des sept Familles, l'Autre fut scindé en trois parties: Jalaab, la Force, Onjũ le Coeur, et Eqkter, l'Ame. L'entité fut scellée derrière la Huitième Porte pour ce qui devait être l'éternité, et les Familles s'en retounèrent à leurs occupations respectives. S'entredéchirant et oubliant peu à peu leur mission première au fil des siècles, au grand damn des Guides.

Début du XXIème siècle. La Famille des Cogistes est la seule à avoir gardé, et mieux, développé, tout son pouvoir, en écrasant les autres lorsque le besoin s'en est fait sentir. Hégémonique, son influence tentaculaire s'étend secrètement à toute la planète, et ses rêves de puissance sont désormais sa seule préoccupation. En réalité, l'Autre et les Familles ne sont plus connus que d'une poignée d'individus, le plus souvent rescapés d'autres Familles. Le moment était donc idéal pour le retour de l'Autre, et ça n'a pas manqué, un archéologue prétentieux ayant trouvé et ouvert la Huitième Porte.
Le seul espoir restant réside en Natan et Shaé, chacun héritier des pouvoirs de trois Familles, qui seront occasionellement aidés par Rafi, un vieux Guide. Traqués par l'Autre, n'ayant pu gagner la confiance des Cogistes à cause des origines Métamorphes, Guerrisseuses et Bâtisseuses de Shaé (Natan étant donc logiquement Cogiste, Mnésique et Scholiaste), nos deux héros devront user de toutes leurs ressouces surnaturelles, ainsi que des possibilités offertes par la Maison dans l'Ailleurs... Sans oublier que leurs démons intérieurs leur joueront des tours, notamment Shaé qui souffre de nombreux problèmes liés à son pouvoir Métamorphe, et a de nombreuses raisons de haïr les Cogistes... Sans compter qu'elle ne supporte pas que Natan la touche, sans doute à cause de l'instabilité liée à son instinct métamorphe... Ce qui s'avèrera gênant, surtout si l'on considère l'évolution -évidente- de leur relation.
On notera que le fond de chaque tome est en adéquation avec la partie de l'Autre qui y est affrontée: le combat contre la Force (tome 1) est rempli d'action trépidante quasiment non-stop; alors que le Coeur, qui préfère manipuler les sentiments des hommes autant que lune_panthere_noire4es catastrophes naturelles, appelle à une histoire plus portée sur ce que ressentent les personnages. Quand à l'Ame, Eqkter, il agit directement sur la conscience humaine, appelant à la lâcheté, la soumission d'un peuple qu'il enferme dans une illusion de sécurité, et c'est ce mécanisme qu'il faudra alors démonter...

En bref, une nouvelle trilogie qui, si elle éclaire discrètement certains points de l'histoire d'Ewilan, et, surtout ouvre de nombreuses passerelles pour d'éventuelles suites, peut parfaitement se lire pour elle-même. Ses liens avec les livres précédents ont cependant contribué à faire l'univers de Bottero un véritable multivers, livre-monde selon les propos mêmes de l'auteur. Mais entre-temps, l'un de ses personnages fétiches se rappela à lui, et lui sussurra de nouvelles possibilités à l'oreille. Donnant naissance à une nouvelle trilogie Alavirienne, qui conjointement à l'Autre, établit des passerelles de plus en plus tangibles entre les différentes histoires de l'auteur. La voie s'ouvrait donc vers...

Le Pacte des Marchombres (2006-2008):

montagne_neigeUne nouvelle trilogie pour Gwendalavir, mais cette fois ci -je vous en parlais déjà plus haut- centrée sur le personnage d'Ellana. Cette jeune femme avait su séduire le lectorat, tant par son esprit d'indépendance que par ses capacités physiques hors du commun, basées sur l'agilité et la fluidité. Habitée par un intarissable désir de liberté, Ellana avait également toutes les faveurs de Pierre Bottero, et il est donc normal que l'idée d'en faire l'héroïne d'une série à part entière ait germée dans l'esprit de l'auteur. La guilde à laquelle elle appartenait, les Marchombres, suscitait également de nombreuses interrogations et c'est donc tout naturellement que son fonctionnement très particulier, ainsi que sa philosophie nous sont montrés par son regard. Ce qui amène à la trilogie la plus aboutie de Bottero, atteignant des sommets tant dans le fond que la forme, habitée comme elle l'est par l'âme Marchombre. Les tomes composant la trilogie sont intitulés Ellana, Ellana, l'Envol et Ellana, la Prophétie.

Un voleur médiocre passe par la fenêtre. Un bon voleur, passe par la porte. Un voleur avisé passe par la cheminée. Un Marchombre passe. (La Quête d'Ewilan, Tome 1)

Mais, un Marchombre, qu'est-ce donc? Au premier abord, les Marchombres forment en Gwendalavir une guilde extrêmement ellana1secrète, bien que très utile à l'économie Alavirienne. Ses membres cultivent au plus haut point des compétences que, dans un autre univers de fantasy, on attribuerait volontiers aux "voleurs" et aux "assassins"... Vêtus de cuir souple, les marchombres sont capables d'ouvrir n'importe quelle serrure, de mettre la main sur l'objet le mieux gardé, et de se faufiler dans la nuit comme des ombres silencieuses... Ils sont experts en arts martiaux (se battant à main nue où au poignard), en escalade (que ce soit en ville, montagne ou forêt) et maîtrisent également le tir à l'arc de précision. Des aptitudes encore plus incroyables sur lesquelles la guilde maintient un secret absolu sont uniquement possédées par les plus grands maîtres... Mais réduire les marchombres à cela serait une terrible erreur.
Bien plus qu'un entraînement physique, leur Voie repose sur une véritable philosophie de la vie, reposant sur la recherche de la liberté et de l'harmonie. Deux valeurs qui forment les piliers de l'esprit des Marchombres, et les définissent bien mieux que leur seul entraînement technique. Dans sa vie, dans chacune de ses actions, le Marchombre est libre, et il ne s'arrête à aucune limite. Il se contente de les dépasser. Allant toujours plus loin sur la Voie, chacun de ses mouvements doit rechercher l'harmonie. La fluidité et la souplesse qui vont jusqu'à faire partie de leur être en sont la preuve, mais l'enjeu pour le marchombre est de comprendre toutes les forces, matérielles ou non, qui l'entourent, et de savoir les utiliser avec subtilité. Qu'il s'agisse des remous d'un torrent déchaîné, les sentiments qui agitent une foule ou des murmures du vent... Poètes, les marchombres le sont assurément, et leur esprit se retrouve dans les poèmes marchombres. Inspirés par les haïkus Japonais, mais avec une forme plus libre, ces courts poèmes dont le support est libre traduisent un ressenti, figent un sentiment dans l'instant et semblent tissés de vent. Bien plus que la gloire ou la richesse que leurs capacités pourraient leur accorder, les arpenteurs de la Voie recherchent avant tout un accomplissement personnel, lié au franchissement perpétuel de leur propres limites comme de celles qui leur sont imposées. Accomplir ce qui n'a jamais été fait, surtout si c'est impossible, parce que, justement, personne ne l'a fait, ou parce que tout le monde le pensait impossible. Suivant en cela les enseignements de la légendaire Marchombre, Ellundril Chariakin.

Il y a deux réponses à ta question. Comme à toutes les questions, d'ailleurs. Celle du savant, et celle du poète. Laquelle veux-tu en premier?

ellana2Seule rescapée de l'attaque d'un convoi de pionniers par les Raïs, une enfant est recueillie par le peuple arboricole et insouciant des Petits. Après une enfance passée dans la forêt, la jeune fille, que ses parents adoptifs ont baptisée Ipiutiminelle, décide d'aller visiter son monde d'origine, celui des Humains. Confrontée à la violence autant qu'à la beauté de ce monde, l'adolescente y gagnera son nom humain: Ellana. Ainsi que son proverbial sens de la répartie et sa liberté d'esprit. Sa rencontre avec Jilano Alhuïn, maître Marchombre, lui ouvrira une porte vers l'indépendance et la liberté... Désormais apprentie de Jilano, Ellana parcourt avec une rare adresse la Voie des Marchombres, découvrant peu à peu l'immense richesse des enseignements de la guilde secrète... Intégrant peu à peu l'esprit et le savoir Marchombre, pour s'envoler afin d'enseigner à son tour la Voie...
Les deux premiers tomes permettent ainsi de suivre la jeunesse d'Ellana et son apprentissage, alors que le troisième prend place après les évènements du dernier tome d'Ewilan, faisant revenir nombre de personnages bien connus. A commencer par Salim, devenu entre temps l'apprenti d'Ellana, et qui aura à passer par tous les jalons de l'apprentissage Marchombre, ce qui était peu développé dans les aventures d'Ewilan. On aura également plaisir, dans les deux premiers tomes, à voir se mettre en place les évènements décrits dans la première trilogie Ewilan. Et l'on comprend enfin les buts et aspirations des redoutables mercenaires du Chaos, qui dans Ewilan n'étaient que des adversairespoignard dangereux mais vite éliminés; ici, ils sont avant tout les ennemis des Marchombres, représentant une sorte de "côté obscur" (chaos contre harmonie; logique me direz vous). Le principal défaut de cette série, c'est sa dépendance à l'égard des autres. Pour les deux premiers tomes, la lecture préalable des aventures d'Ewilan n'est pas obligatoire mais apporte tout de même beaucoup d'éléments très utiles pour juger de la cohérence de l'univers. Le troisième tome du Pacte, lui, est une suite à Ewilan, rendant la lecture des 6 tomes très conseillée si l'on ne veut pas se perdre au milieu de tous les personnages issus des deux premières trilogies. La lecture de l'Autre est facultative pour comprendre le Pacte, mais une référence à cette trilogie est présente dans la Prophétie, et la manquer serait bien dommage.
Ajoutons que cela n'a pas empêché le succès de cette série, qui a été récemment rééditée dans une version Livre de Poche "adulte". Bon, vous aurez également compris qu'il s'agit de mon coup de coeur personnel, en particulier le second tome qui fait un lien très cohérent avec les aventures d'Ewilan, tout en comportant un passage plus sombre, sans perdre une seule seconde le souffle poético-épique que j'admire tant dans les oeuvres de Bottero.

La vie est une question. La Voie du Marchombre est tout à la fois, la réponse du savant, et celle du poète. (Ellundril Chariakin)
(
Ellana)

Les âmes croisées (17 février 2010):

Tome unique qui devait subtilement faire le lien entre toutes les séries précédentes, en prévision d'une suite, laquelle nous a finalment été ravie par le décès de l'auteur. Ce livre comporte de nombreuses références à l'Autre et à Ellana, notament au niveau du bestiaire fantastique.

NawelNawel est une jeune fille de 17 ans habitant le Royaume des 12 Cités. Membre de l'élite, riche et prétentieuse, son avenir semble tout tracé, et décidé depuis son enfance: lorsuqe sera venu pour elle le moment de choisir sa caste, comme tous les habitants du Royaume, elle deviendra une Mage, appelée à diriger le pays. D'autant qu'elle est déjà fiancée à l'héritier du trône... Cependant, elle provoque un jour, accidentellement, la mort d'une femme issue du peuple, et de son enfant. Ce qui la décidera à prendre à contre pied tout ce que sa famille attendait d'elle, et à contrôler elle même sa destinée... Aussi choisit elle de porter l'Armure de l'énigmatique caste des Guerriers... Ce qui changera sa vision du monde à jamais, l'amenant à rencontrer des êtres différents et lui ressemblant pourtant, et à partir sur les traces de trois adolescents exceptionnels, sur l'identité desquels les lecteurs assidus ont peu de doute... Voir la fin de l'Autre et celle du Pacte.

Mais comme, évidemment, une suite officielle n'est plus possible, libre cours est laissé à l'immagination du lecteur pour tisser les liens manquants, en créer de nouveaux, et rêver de nouveaux pans d'un univers qui malheureusement restera une oeuvre innachevée... Laisser des portes ouvertes, toujours, voilà bien le style de Bottero... Même mort, le rève qu'il a déroulé pour ses lecteurs restera tangible, et on peut espérer que le pan de poésie qu'il a lançé, au gré du vent, pour qu'il effleure nos esprits saura marquer les voyageurs de l'imaginaire qui se succèderont, au fil des ans...

La douleur infinie de celui qui reste
Comme un pâle reflet de l'infini voyage
Qui attend celui qui part. (Ellana, l'envol)

La mort est un cadeau que nous offrent ceux qui partent. Un cadeau exigeant, écrasant, mais un cadeau. La possibilité de grandir, de comprendre, de s’ouvrir, d’apprendre. D’attendre aussi. Sa propre mort. Sans plus la redouter. (Pierre Bottero, édition spéciale d'Ellana, l'envol, et publié également dans la version livre de poche)

La plume repose
A jamais, sur le rêve qu'elle a déroulé
Voyage sans fin